Georges Perec – La vie mode d’emploi – Les Rorschash

L’histoire de la famille Rorschash et de l’appartement qu’elle occupe s’étend sur cinq chapitres (une seule allusion auparavant avait été faite à cette famille et ce en relation avec le hamster Polonius/voir entrée blog intitulée Comment lire dans le labyrinthe perecquien ?). Chaque chapitre se situe dans une pièce différente, soit le vestibule, la salle à manger, le salon, la chambre d’Olivia puis enfin celle de Rémi Rorschash.

Le vestibule présente certainement le plus de substance, c’est là que l’auteur campe le personnage de Rémi, médiocre imitateur de comiques américains qui se produit dans sa jeunesse sous le nom de « Harry Cover » (Lire bien évidemment : haricot vert), il décrit les grandes aspirations de sa vie en qualité d’ « imprésario d’un acrobate », d’homme d’affaires spécialisé dans l’export-import et notamment dans le « trafic de cauris », de romancier « il écrivit un roman qui s’inspirait largement de son aventure africaine », de « producteur (…) pour la télévision » qui se donne enfin pour ultime tâche de mettre en image le projet de Bartlebooth. Toutes ces tentatives seront vouées à l’échec, il n’aura en tant que comique aucun succès, l’acrobate se donne la mort après avoir refusé de descendre de son trapèze, les coquillages en tant que monnaie d’échange se révèlent un fiasco et provoquent l’expulsion de Rorschash, son « roman eut peu d’audience », la plupart des émissions ne seront « jamais tournées » et son projet autour de Bartlebooth ne verra pas le jour.

Personnage par conséquent raté et assez antipathique que Perec brosse en quelques lignes « il avait le genre américain, avec des chemises à ramages, des mouchoirs en guise de foulard, et des gourmettes au poignet ». « Vieillard malade » enfin « presque continuellement astreint à des séjours en clinique ou à de longues convalescences ». Tous les doutes sont permis sur l’acquisition de sa fortune « Certains racontent qu’il fit la guerre dans les Forces Françaises Libres et que plusieurs missions de caractère diplomatiques lui furent confiées. D’autres affirment au contraire qu’il collabora avec les Forces de l’Axe et qu’il dut se refugier après la guerre en Espagne. Ce qui est sûr, c’est qu’il revint en France, riche et prospère, et même marié, au début des années soixante ».

Cette fortune lui permettra d’acquérir les deux derniers appartements qu’Olivier Gratiolet avait en sa possession dans l’immeuble « en dehors du petit logement qu’il occupait lui-même ».

Dans la description du salon, on découvre la famille qui auparavant a occupé les lieux, les Grifalconi, Emilio, ébéniste Italien venu de Vérone, sa femme Laetitia et leurs deux jumeaux Vittorio et Alberto. Laetitia lors d’une de ses promenades quotidienne au parc Monceau avec ses enfants fait la connaissance de Paul Hebert, jeune homme résidant dans l’immeuble, survivant de Buchenwald et professeur de chimie surnommé pH. Ils tombent amoureux l’un de l’autre et Laetitia finit par laisser son mari et ses enfants pour rejoindre Paul. Le lecteur ne connaît pas l’issue de cette idylle, Paul sera aperçu un jour alors qu’il vend des produits locaux à la sortie d’un supermarché et refuse clairement de lier contact avec toute personne de sa vie passée. Emilio retournera en Italie avec ses enfants et seul restera dans l’appartement le tableau fait par Valène que l’ébéniste avait commissionné – tableau représentant les quatre membres de la famille Grifalconi. C’est aussi par la description du tableau que le lecteur entre dans l’histoire d’Emilio et Laetitia.

La salle de bains est luxueuse et somptueusement équipée. Six personnages s’y trouvent lorsque le lecteur y pénètre, chacun cherche à percer les secrets du fonctionnement de la dite salle de bains. La visite a pour but la location de l’appartement d’Olivia R. à Mme Pizzicagnoli « pendant les mois où Olivia sera absente ». On apprend dans le chapitre précédent (pas de linéarité dans le temps et le récit) que les Pizzicagnoli ont fini par louer l’appartement « Vérifier chaque jour que les Pizzicagnoli n’ont pas cassé la grappe de verre soufflée du vestibule ».

Le dernier chapitre des Rorschash permet au récit de faire un bond en arrière (analepse ou retour sur les événements passés en terme de narratologie) et décrit les quatre générations de Gratiolet : Juste, Emile, François et Olivier et montre les débuts de la rue Simon-Crubellier en 1875. On perçoit ainsi l’appartement a la fois à travers l’espace et le temps.

La chambre à coucher de Rémi R. est vide et tout semble indiquer que son occupant est mort ou mourant « La chambre de Rémi Rorschash est impeccablement rangée, comme si son occupant devait venir y dormir le soir même. Mais elle restera vide. Plus personne, jamais, n’y entrera ».

Note enfin sur le nom de Rorschash:

Fait penser au test de Rorschash appelé ainsi en raison de son créateur, le psychiatre Hermann Rorschach au début du XXe s. Ce test, connu mais largement contesté, est sensé dresser un portrait pointu et fiable de la personnalité des patients auxquels on demande d’interpréter dix taches d’encre (Ils doivent dire à quoi chacune d’elle ressemble).

Aucun élément précis dans les six chapitres ne semble faire directement allusion au test de Rorschash mais le nom de Rorschash est assez spécifique et connoté pour que Perec y ait été sensible.

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