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A. SternParis, un début d’après-midi de décembre, Arno Stern me reçoit rue Falguière dans son atelier. Nous passons deux heures à converser dans le « closlieu », l’espace qu’il a créé pour « le jeu de peindre » et pour ce qu’il a nommé « la formulation ».

Cela faisait plusieurs années qu’au détour de mes lectures et réflexions, le nom de Stern revenait, son œuvre, ses théories ; le témoignage ensuite de son fils, André dans « Et je ne suis pas allé à l’école – histoire d’une enfance heureuse ». Il aura fallu une conversation avec une enseignante et plusieurs heureuses coïncidences pour que mon court séjour parisien se voie enrichi d’une visite auprès du pédagogue et fondateur de l’Institut de Recherche en Sémiologie de l’Expression.

« Ici, on joue et quand le jeu est fini, on s’en va » me dit d’emblée Arno Stern. « Ici », c’est le lieu clos d’où le néologisme « closlieu », une pièce d’une vingtaine de mètres carrés sans fenêtre. Le plancher est en bois, le plafond est blanc, les murs sont bariolés, le mobilier se réduit à une table-palette contenant dix-huit couleurs ; elle est placée au centre. Une porte pour y entrer ; une autre plus loin pour ressortir. Une étagère dans un coin permet de ranger des feuilles blanches ainsi que quelques godets et tabourets. « On », ce sont les enfants et les adultes (au maximum une quinzaine par séance) qui le mercredi, samedi ou dimanche se retrouvent pour « jouer », soit peindre loin du bruit et des regards extérieurs.  C’est un moment collectif mais où chacun s’exprime pour soi, en donnant libre cours à sa créativité. Les concepts d’art, d’esthétisme et de production sont bannis. Et si la parole est permise et présente dans le jeu, elle ne sert jamais à commenter ou analyser. Dans le « closlieu », il n’y a ni raisonnement, ni intention, ni attente, ni spéculation, ni comparaison. L’acte de peindre est un jeu sans autre enjeu, il est gratuit et spontané. Chaque participant a sa feuille de papier rectangulaire (la taille correspond au champ visuel d’une personne placée en face d’elle). Six punaises la font tenir au mur. Chacun se munit d’un pinceau, le trempe dans le gobelet de son choix et peint – tout est simple mais ritualisé.

Le « servant du jeu de peindre » sert, comme son nom d’indique, de facilitateur. Il aide à mettre et enlever les punaises pour que l’acte reste fluide ; il rectifie les coulées malheureuses, essuie les gouttes inattendues, apporte un tabouret si nécessaire, aide à la création de nuances de couleurs. Son rôle est clef et plus important qu’il n’y paraît de prime abord – il permet à chacun de rester concentré, de se sentir entouré et ainsi de se livrer pleinement à la « formulation ».
A ce propos, si vous souhaitez apprendre le métier de « praticien » ou « servant du jeu de peindre », sachez qu’il est possible de suivre une formation rue Falguière. Ces formations se déroulent sur dix jours – un total de soixante-cinq heures pendant lesquelles le nouvel initié se familiarise avec les gestes indispensables, avec le langage et surtout apprend à ne jamais être étonné ou interpréter le résultat obtenu.

Lors du «jeu de peindre », il arrive que certains participants continuent d’une fois sur l’autre sur un même thème – la peinture, ou plutôt comme Arno Stern préfère l’appeler, « la trace » peut alors aller jusqu’à deux mètres de haut et s’étendre sur plus de cent mètres de long (Il me confie que l’un des participants vient chaque dimanche depuis plusieurs décennies et ce depuis ses quinze ans). Quand la séance est terminée, chacun laisse sa « trace » – Elle est ensuite étiquetée et rangée.

De fil en aiguille, ou plutôt de couleur en pinceau, on aborde le cœur de la théorie de Stern, soit la « formulation », concept qu’il a découvert après de nombreuses années de recherches et d’expérimentation. Mais pour mieux comprendre le chemin parcouru vers le « closlieu » et la « formulation », retournons tout d’abord aux racines d’Arno Stern.

Comme son nom le fait penser, il naît en Allemagne, dans un pays appauvri par l’inflation. Le national-socialisme est en pleine croissance et lorsqu’Hitler prend le pouvoir en 1933, la famille Stern pressent la menace et décide de fuir. Les Stern arrivent en France ; Arno a huit ans et va à l’école publique ; il apprend une langue alors inconnue, le français. En 1940, la guerre les contraint à fuir de nouveau. Ils réussissent à passer en Suisse et y restent jusqu’en 1945 dans un camp de travail. La paix revenue, la famille retourne en France et doit pour la troisième fois repartir de zéro. Arno Stern cherche un travail ; on lui propose de s’occuper d’enfants orphelins de guerre âgés de quatre à quinze ans. Il leur propose de peindre et là, c’est le coup de foudre ; le « jeu de peindre » deviendra sa passion et la quête de sa vie.

Des années plus tard, Arno Stern ouvre à Paris « L’Académie du Jeudi » (Le jeudi étant alors le jour de la semaine sans école). L’atelier a du succès. Il y accueille bientôt jusqu’à cent-cinquante enfants par semaine. Leurs dessins/traces, sont rangées avec soin avec le nom de chaque enfant et la date. (Les archives commencées en 1947 comptent de nos jours plus de 500.000 traces).
Les traces présentent des similitudes intéressantes et il établit un inventaire constitué de douze objets de base. Ces objets sont ceux qui reviennent de façon récurrente, indépendamment de l’âge, de l’identité ou du milieu social de l’enfant. Il y a bien sûr : le soleil, la fleur, l’arbre, l’eau, la terre, l’oiseau….et la maison. Comme on sait, tout enfant aime à dessiner une maison ; cependant aucune de ces maisons ne ressemble jamais à celles qu’il voit ou a vu en réalité. Alors pourquoi cette conformité entre elles et d’où vient cette maison ?

Intrigué par l’origine des « traces » et curieux surtout de savoir si elles relèvent d’un code commun à tous les êtres humains, Arno Stern décide de partir dans des régions reculées, dans le désert, de gravir les hautes montagnes coupées du reste du monde et d’aller à la rencontre de populations nomades, préscolarisées et donc hors du champ d’influence de l’école. (Ses pas le mènent vers l’Ethiopie, la Mauritanie, la Nouvelle Guinée, le Pérou, l’Afghanistan etc.). Là-bas, il déplie sa table-palette et observe, sans avoir jamais à prescrire ou expliquer plus avant. Les résultats sont étonnants. Non seulement chacun sait intuitivement ce qu’il faut faire mais surtout les « traces » à Paris, comme dans la forêt vierge ou le désert sont identiques. Le développement de celles-ci aussi évolue de façon similaire selon l’âge de l’enfant. Après maints voyages et plusieurs années de recherches et d’expériences variées, il peut enfin affirmer l’universalité du phénomène qu’il nommera « la formulation ».

Mais qu’entend-ton exactement par « formulation » ? Quelle en est sa source? Et comment se peut-il qu’elle touche ainsi tous les êtres humains, indépendamment de leur origine ?

Stern parle d’expression spontanée d’une nécessité interne et avance la théorie de la « mémoire organique »  (la rapprochant de ce que les neurosciences appelleront plus tard « la mémoire cellulaire »). Il pointe sur le fait qu’avant l’âge de deux ou trois ans, personne n’est capable de se souvenir. On peut bien évidemment s’être appropriés des histoires ou des images racontées par ses proches, voire les avoir intégrées de façon si parfaite qu’elles semblent venir de nous, mais en vérité les souvenirs conscients s’arrêtent à ce seuil. En d’autres termes, ce qui constitue les prémisses de notre vie nous reste inaccessible. « Tragique ! » comme s’écrit Stern qui utilise alors la métaphore du livre. Les premiers chapitres en constitueraient la « mémoire organique » ; l’être humain serait comme un ouvrage dont on aurait arraché les vingt ou trente premières pages. Comment dans de telles conditions lire, apprécier, voire comprendre un tel livre ?

C’est là qu’intervient, selon Stern, le jeu de peindre et l’expérience de la formulation. Elle est une des voies d’accès possibles à la mémoire organique, à ces fameuses pages manquantes du livre. Pénétrer dans le « closlieu », se prêter au « jeu de peindre » et « se livrer à la formulation » serait donc un peu comme reconstituer son propre livre.

Il insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de thérapie (car il n’y a pas de maladie), mais plutôt de l’expression d’un plaisir spontané afin de parvenir à un meilleur équilibre ou une plus grande connaissance de soi – une façon ludique en quelque sorte d’« être soi-même parmi les autres ».

Deux heures se sont écoulées depuis le début de l’entretien, alors que j’ai l’impression d’être arrivée il y a seulement dix minutes ; la passion d’Arno Stern est rafraîchissante et stimulante.

Merci Arno Stern de votre générosité et de votre enthousiasme !
https://arnostern.com/en/index.html.

Le closlieu 1 La table palette

 

 

 

 

 

 

 

harpe 2Un autre endroit, mais toujours les bords de l’eau, Chicago River coule en bas et se jette plus loin dans le lac. La lumière se reflète dans les immeubles d’en face, un fin rayon de soleil direct éclaire la pièce où se regroupent quelques privilégiés. Les doigts comme animés d’une vie propre se lancent, déchirent le tissu des conversations amorcées.
17h30, concert privé chez Isabelle Olivier qui joue ses dernières compositions.

Deux ans plus tard, l’opéra librement inspiré du Baron perché de Calvino prend son élan ; il est fini quasiment pour la partie orchestrale et l’instrument central : la harpe. D’autres viendront s’y joindre : guitares, contrebasses, violons, voire synthétiseurs. Des voix aussi, un quatuor composé de deux hommes et deux femmes.

La harpe, point central, seul représenté pour le concert de ce soir, se donne à fond, cordes, bois, coffre, chevilles, pédales et boutons. Rien n’est laissé de côté et tout participe avec intensité. Côme monte dans l’arbre, fuit la société d’une branche à l’autre, impose sa liberté entre ciel et terre. On ferme les yeux, se laisse porter par une musique nouvelle, si loin des représentations traditionnelles liées à cet instrument.

Etre à quelques centimètres de la harpe, la sentir vibrer et remplir l’espace est unique et ne se retrouvera sans doute pas dans l’opéra final, où elle se fera guide, donnera le ton, mais n’aura plus l’exclusivité. Je profite donc du moment.

Un concert vient d’être donné cet été près de Paris, une magnifique création incluant une quarantaine d’artistes, le tout dans la féérie d’un château médiéval. D’autres représentations sont prévues au printemps et à l’été prochains à Chicago, en salle et en plein air….

Une histoire musicale à suivre donc, perchée entre Paris et Chicago.

ImageParfois je me souviens de ces chevaux de bois,
deux mains agrippées autour de l’encolure
en haut, en bas, petits visages en émois ;
la musique aigre en berce l’allure.

Le manège monotone tourne, roule ;
un tour puis deux puis trois le regard étourdi
ne capture plus que cris, couleurs dans la foule
Un accordéon au loin meurt, touches jaunies.

La fête bat son plein sur les passants radieux,
en cadence, à une corde suspendu,
un lutin descend sous les regards anxieux ;
puis soudain remonte dans l’air, inattendu.

La chance fugace est emportée par le vent,
balayée au son des notes et corps joyeux ;
c’est alors que l’enfant s’en saisit goulûment,
attrape l’objet de son désir par la queue.

Rien qu’un bout de chiffon contre sa poitrine
ou plutôt tous les possibles dans sa paume,
il affiche sa victoire, s’imagine
en riant, prince au sommet d’un royaume.

 

Photo de Bettina Frenzel, de la série « Wiener Bilder »

ImageItalie et France, autour d’un menu, et un hommage à une même génération de femmes, à deux prénoms aux sonorités proches, l’une était Française et l’autre d’origine italienne puis ensuite elle fut américaine d’adoption.

Marcella Hazan bien sur pour toute l’inspiration italienne, avec sa « torta di mandorle » notamment, faite sans un gramme de beurre et sans un seul jaune d’œuf, une gageure pour tout bon Français – juste quelques amandes portées par un nuage de neige, c’est beau, c’est léger et c’est délicieux.

Crostini avec ricotta et anchois
Crostini con ricotta e acciughe

Noix de pétoncle sautées à l’ail et au persil
Pettini di mare con aglio e prezzemolo

Gigot d’agneau au four
Cosciotto di agnello al forno

Flageolets aux herbes
Fagioli verdi alle erbe aromatiche

Fenouils à l’huile d’olive
Finocchi brasati

Gâteau aux amandes
Torta di mandorle

Fraises au vin
Fragole con vino

Vino : Prosecco

Vin : Sancerre, Saumur blanc et Chinon

Buon appetito, bon appétit !

Image«Between the folds», le documentaire de l’Américaine Vanessa Gould, sorti en 2008 révèle le monde connu et méconnu de l’origami. Nous sommes loin ici des cocottes en papier que chacun sait plus ou moins faire et expérimente joyeusement en famille. Le papier devient statue, forme géométrique complexe, objet aux mille facettes – un mélange unique de technique et d’émotion.

Plusieurs artistes prennent la parole, parlent de leur découverte de l’origami, de leur fascination et de leur travail incessant pour dompter un art qui semble sans limite. Un pli, puis un autre, des centaines pour les plus experts et la surface s’incarne sous nos yeux.

Le papier prend corps et âme. Il devient sens.

Le documentaire est bref. Il ne dure que 55 minutes et semble ne faire qu’aborder le sujet pour mieux nous le laisser découvrir. On ressort de ce film avec l’envie de créer, de se perdre « entre les plis ». Car c’est bien là que la magie opère, dans cette recherche par l’art d’un moment de grâce et d’un au-delà, situé « entre » les plis.

La tasse de thé de Proust distille son parfum car l’origami aussi est un monde qui se déplie, se multiplie –  une délicieuse mise en abyme qui nous transporte dans l’espace et le temps.

Image

Le nom commence par un « A » mais il aurait aisément pu choisir une lettre de l’alphabet moins convoitée telle que le « W » pour  un simple « wow », et sa place dans le bottin gastronomique n’en aurait pas moins été au tout début. Alinea, le restaurant de Chicago ouvert en 2005, par le chef américain Grant Achatz est aussi spectaculaire que sa renommée.

Alliance de sobriété et de raffinement, on est transporté. Les articles élogieux font légion, car il est nécessaire de mettre en mots les mets, formuler ce que les sensations appréhendent sans complètement pouvoir cerner. Manger pour subsister, manger pour rester en bonne santé, manger pour le plaisir, manger pour compenser, manger pour penser, manger à toutes les sauces.…la grande préoccupation de chacun, devient ici une expérience aussi intellectuelle que physique. Corps et âme enfin en harmonie, on se prête au cérémonial, se laisse aller, bien calé dans son fauteuil, s’ouvre, tous les sens en alerte, aux joies de l’inconnu.

Le restaurant se trouve dans le quartier de Lincoln, sur une rue passagère et le bâtiment en forme de cube gris, aux fenêtres drapées de voiles blancs ne laisse rien filtrer de l’extérieur. Il n’y a rien de clinquant, pas même de visible pour les non-initiés. Car c’est bien sur le concept d’initiation, de passage rituel qu’Alinea joue. La pénombre et le couloir étroit en forme de boyau frappent à l’entrée, des sortes d’alambics en verre pendent de part et d’autre des parois, puis avant que l’esprit ait mis un mot sur l’impression vécue, une porte métallique s’ouvre sur une pièce claire, aux meubles noirs laqués. L’atmosphère se veut minimaliste. Les tables, sans nappes, sont nues à l’exception d’une serviette blanche pliée en deux pour accueillir chaque convive, la lumière est diffusée par quelques appliques montées au plafond, l’ambiance est élégante, sobre. Plusieurs serveurs, en costume gris, arrivent, courtois, aimables et discrets –  en bref et depuis le pas de la porte, le ton est juste – sans fausse note.

Tout juste installés, la cérémonie commence. Un premier serveur fournit quelques brèves explications du repas, sert un verre d’eau pétillante, rapidement suivi d’une coupe de champagne et d’un amuse bouche présenté sur une cuiller à café. Une bouchée de caviar ouvre les papilles sur une touche salée, fraîche. Voilà, on est prêt pour se lancer dans l’expérience.

Les plats ne tardent pas, quatorze en tout, tous plus spectaculaires les uns que les autres. Les saveurs sont mises en scène, savamment. On regarde émerveillé, suit avec attention les consignes des serveurs et participe parfois à la pièce qui se joue devant soi.

Enoncer les plats, c’est encore les revivre et donc rêver, saliver sur :

  • une mousse de lapin agrémentée de fleurs de cerisiers et de wasabi
  • un ceviche de saint Jacques
    (ce plat est particulièrement beau car il est servi dans un récipient massif en terre noire, assis sur un lit de glace. Du récipient se dégage une vapeur blanche qui se répand en volutes sur la table ; les yeux ne discernent tout d’abord rien qu’un nuage opaque, puis la coquille ouverte, et le voile blanc s’évaporant, les mollusques apparaissent, prennent forme surtout dans la bouche, quand le goût succède à la vue)
    *
  • crabe et fleur de courgette frite avec safran et cardamone
    (une palette de jaune et d’orange rehaussée par un verre de San Gimignano de couleur ambre)
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  • cubes de poissons et tofu japonais avec gorgée de bière et saké
    (en guise d’assiette nous avons cette fois une ardoise sur laquelle se trouvent deux morceaux de bois noirs couleur d’ébène. Tofu et poisson sont délicatement posés sur le bois, une flamme au bout les illumine et donne une allure féérique au plat)
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  • joues de veau, champignons, cassis et goût de forêt dissimulé sous un nuage de coton blanc aux saveurs de viande
    (un bol dont seul ressort la coupe de mousse blanche, il faut la soulever pour atteindre le mélange plus robuste du dessous. Les « hum… » sans autre forme de commentaires parlent ensuite mieux que les mots)
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  • consommé de pomme de terre froid, avec truffes et boulettes de pommes de terre chaudes
    (la coupelle est blanche, sur le côté se trouve une fine tige en fer sur laquelle sont enfilés de minuscules morceaux de pommes de terre, au bout se tient une lamelle de truffe noire. On tire la tige doucement et les morceaux en équilibre tombent dans le liquide froid. Le tout se boit d’une traite, en laissant agir les contrastes : textures, températures et intensités)
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  • Médaillons de canard à déguster avec multiples condiments
    (Il s’agit bien du point culminant du menu. Quatre magrets de canard assis sur un lit de porcelaine blanche, attendent d’être mariés, selon l’envie, à des touches pimentées, poivrées, sucrées, toutes présentées sur une plaque de verre transparente au centre de la table. Goutte de gingembre, rondelles d’olive, grains de moutarde, atomes d’ail, fragments de fruits confits, noix de pecan grillée, feuilles de thym, de romarin ou basilique, pointe de chocolat, perle de violette, trace de cassis, etc. créent un échiquier de flagrance et couleurs qu’on ose à peine bouger. Alliage de délicatesse et profusion, le résultat est impressionnant).
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  • Ravioli garni de truffe noire et parmesan
    (explosion des saveurs et transition vers la partie sucrée du repas – sobre mais efficace)
  • Eventail de cinq petits dés piqués de gingembre montés au bout d’une courte tige métallique
    (un crescendo piquant et poivré)
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  • Ballon d’hélium à la pomme
    (deux ballons qu’il faut embrasser, inhaler pour manger, la tige est en pâte sucrée. Le plat est un jeu, on s’y prête en riant)
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  • Fraises et noix de pignon
    (sans doute le plus traditionnel des plats servis, délicieux au demeurant)
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  • Crème de framboises et extrait de rose
    (on se fait apprenti chimiste pour un moment et glisse une pipette en verre au bout trempé dans une préparation à la rose dans une bouteille remplie d’un lait de framboises. La satisfaction est ici surtout dans le jeu et les couleurs, moins peut-être dans le goût.
  • Gâteau au chocolat et meringue, sauce vanille et violette, fondant au noisettes
    (le dernier plat est le plus orchestré, voire théâtral. La table est recouverte d’une nappe en plastique, quelques pots blancs sont déposés en bordure ainsi qu’un cercle léger en aluminium au centre. Le chef arrive et se lance dans une composition sous les yeux ravis des convives. Ses doigts agiles saupoudrent à l’intérieur du moule une pâte sucrée, puis verse une sauce épaisse de chocolat chaud, ajoute des nuages de meringue au lait, enfin jette sur le tout des cristaux de violette. A l’extérieur du cercle, la cuiller dessine des rayons blancs de vanille, d’autres rouges à la violette, quelques gouttes éparses donnent enfin le ton final. La présentation est fantastique, le tableau très réussi, on mange littéralement avec ses yeux. Mais ces saveurs douces et riches ne seraient-elles pas presque trop entêtantes pour clore un repas sinon tout en finesse ? L’équilibre des sens est complexe, et nous voilà de toutes façons plus que rassasiés en fin de parcours, laissons les autres sens prendre le relai des papilles déjà comblées.

Deux heures et demie plus tard, on quitte la scène en gardant en mémoire le voyage des goûts, des couleurs, et des parfums. A Alinea, aucune sensation n’est brute ; tout est transmutation et élégance ; que ce soit des produits de base utilisés dans les mets, aux couverts créés spécialement pour chaque plat ou encore à l’ambiance générale du lieu. Le convive est actif, participe à la pièce et l’expérience est totale ; Chaque détail est revu, soupesé, corrigé.

Comme le sas d’entrée le laissait penser, l’alambic est donc sans doute, la meilleure métaphore pour Alinea, car il distille, pressurise, extrait. Il nécessite enfin une technique, utilise des propriétés chimiques, mais reste avant tout et surtout Magique.

ImageUn nouveau concert privé d’Isabelle Olivier et la beauté d’assister à la création de son opéra jazz et harpe, intitulé « Don’t worry, be haRpy ».

Environ vingt-cinq minutes de plus que lors du dernier concert auquel j’assistais, et une œuvre qui s’étoffe, devient de plus en plus riche. S’il est un son possible à tirer de l’instrument, Isabelle l’a trouvé. Elle explore, les cordes, l’ossature de la harpe, joue des pédales, de l’inclination de l’instrument, des résonances, et ne craint pas d’employer d’autres éléments ou objets pour augmenter les possibilités, faire jaillir du néant sa composition. Le baron perché passe d’une branche à l’autre et tous les oiseaux pépient, accompagnent de leurs chants les bruits de la forêt de Ligurie.

Quelques morceaux de papier, insérés entre les cordes, donnent aux notes un accent métallique, une petite manivelle – sorte de tire bouchon à l’embout en acier, augmente les vibrations sonores, des gouttelettes d’eau au bout des doigts créent à s’y méprendre les vocalises des mésanges, des étourneaux ou des fauvettes.

Les notes pleuvent, joyeuses ou tristes, fortes ou douces; et la petite phrase musicale revient, ponctue le morceau et capte le spectateur qui chaque fois la retrouve, la suit, attend sa disparition puis son retour, ravi.

Le projet sera en ligne prochainement sur « kickstarter », pour une période d’un mois pendant laquelle tous ceux qui veulent voir ce beau projet d’opéra éclore, peuvent contribuer en apportant leur soutien financier.

A la harpe viendront alors s’ajouter d’autres instruments, d’autres musiciens…..bien plus à suivre….et d’ici là,  http://www.isabelleolivier.com.

ImageAvide à vide
En dur endure

Les échos se répercutent

Emois et moi
Délire de lire

Multiples ;

A Dieu adieu
Encore en cœur

Les sons résonnent, se déforment

Essence et sens
Design de signes

En un chassé-croisé de notes

Amère à mer
Envers en verre

Où les mots rebondissent,

Halo à l’eau
Enfer en fer

Sans réponse.

Emaux et maux
Décris de cris

Je parle en silence
J’écris.

ImageAvril ne te découvre pas d’un fil
Nous dit le dicton
Un mois où tout le monde vacille
Chacun sa façon

Un coup à droite, puis un à gauche
En équilibre
Au dessus du vide on chevauche
Tous soudain ivres

De premières chaleur et lumière
Comme hors-la-loi
Le temps, l’espace, la vie celle d’hier
Le cœur en émoi

Entre les possibles et les non dits
Toujours à l’affût
De futures caresses alanguies
Monde défendu

Jusqu’à la lie, on boit ton élixir
Il faut y croire
Aux promesses, prières, à venir
Ne jamais déchoir

Avancer le pas léger, l’air enjoué
Oublier tous ceux
Qui en ces jours, pourquoi, s’en sont allés
De moi, vers les cieux

Ont troqué saison de chrysalide
Ainsi, sans raison,
Leurs enveloppes d’hiver, avides
De beau et de bon

D’un été bien trop long à renaître
Encore incertain
Où la pâle lueur alors traître
Laisse sur la faim.

Ah, si seulement ils avaient attendu
Un peu, car en mai
N’était-il pas clairement dit, entendu
Fais ce qu’il te plaît ?