Le chapitre LII, Plassaert, 2 s’ouvre sur l’évocation d’une famille assez peu sympathique, les Plassaert qui tels des rongeurs acquièrent petit à petit (morceau par morceau) leur appartement. Ils n’occupent au début qu’une seule pièce mais obtiennent bientôt les appartements attenants, délogeant sans vergogne les occupants en titre, un vieil homme nommé Troquet « Les Plassaert entamèrent immédiatement une procédure d’expulsion parce que Troquet ne payait pas régulièrement son loyer, et comme Troquet était un semi-clochard, ils obtinrent très facilement gain de cause », l’inventeur Morellet « Les Plassaert réussirent à obtenir gain de cause et Morellet fut interné » ou bien en profitant de la disparition soudaine de Grégoire Simpson. Les Plassaert font donc figure d’arrivistes, prêts à tout pour assurer voire augmenter leurs biens.
L’histoire se cristallise ensuite sur le dernier occupant, Grégoire Simpson, étudiant en histoire qui pour survivre travaille en qualité de « sous-bibliothécaire adjoint à la Bibliothèque de l’Opéra ». Henri Astrat, riche amateur « passionné d’opéra », avait légué ses archives et sa fortune à l’opéra permettant ainsi de subventionner la position occupée par Grégoire. Mais là encore l’accent n’est pas mis sur Henri tel qu’on pourrait l’attendre en lisant le titre de l’histoire mais bien plutôt sur Grégoire. Celui-ci perd son emploi, suite à des mesures de rationalisation budgétaire, et après avoir tenté plusieurs petits boulots il sombre lentement dans la neurasthénie. Son état d’abord mélancolique empire très vite, le rendant inapte à toute occupation. Il déambule dans Paris, s’impose « des tâches ridicules » telles que « dénombrer tous les restaurants russes du XVIIe arrondissement et de combiner un itinéraire qui les réunirait sans jamais se croiser». Cette allusion rappelle bien évidemment la technique même employée par Perec dans l’élaboration de son roman. Le déplacement dans l’immeuble se fait comme un cavalier sur un échiquier. La contrainte que l’auteur s’impose est la polygraphie du cavalier, où le cavalier ne peut passer qu’une seule fois sur chacune des cases. L’immeuble devient alors l’échiquier et se divise en une grille 10×10.
A travers les errances de Simpson le lecteur découvre Paris et se transforme en promeneur qui embrasse tout, apprend à voir d’un regard neuf les boutiques, les annonces, « la cathédrale de Chartres en saindoux d’un charcutier, les cartes de visite humoristiques des Farces et Attrapes». Les reprographies d’affiches, de gravures, les extraits de journaux insérés dans le livre permettent de mieux rendre l’aspect hétéroclite et la richesse du lieu.
On pense ici à Aragon dans Le Paysan de Paris ou bien encore aux réflexions de Walter Benjamin sur le flâneur « In tausend Augen, tausend Objektiven spiegelt sich die Stadt » – Denkbilder.
Note explicative sur les cartes humoristiques/jeux de langage :
Adolf Hiltler Fourreur (pour Führer), Jean Bonnot charcutier (pour jambonneau), M. et Mme Hocquard de Tours et la naissance d’Adhemar (pour ça démarre au quart de tour), Madeleine Proust « Souvenirs » (pour la Recherche de Proust et le célèbre épisode de la madeleine trempée dans le thé), Dr Thomas Gemat-Lalles (pour j’ai mal là).
Après des mois de dérive et d’«hibernation », « Les six derniers mois, il ne sortit pratiquement plus jamais de sa chambre » Simpson « disparut pour de bon (…) et nul ne sut jamais ce qu’il était devenu ». Figure tragique, énigmatique dont le nom évoque étrangement celui de Gregor Samsa dans la Métamorphose de Kafka (Le protagoniste se réveille un matin changé en un insecte monstrueux « Als Gregor eines Morgen aus unruhigen Träumen erwachte, fand er sich in seinem Bett zu einem panzerartigen harten Ungeziefer verwandelt » – Die Verwandlung).Perec dirige le regard du lecteur, capte son attention sur le parallèle entre les deux personnages lorsqu’il écrit « En dépit de la consonance de son nom, Grégoire Simpson, n’était pas le moins du monde anglais ». Rappelons enfin pour étayer le rapprochement à Kafka le travail de Simpson en tant que « sous-bibliothécaire adjoint à la Bibliothèque de l’Opéra » » et la description pour le moins absurde de l’activité qu’elle sous-entend.