Georges Perec – La vie mode d’emploi – Conclusion cours Perec

La dernière séance consacrée à La vie mode d’emploi a porté sur la famille Altamont, dernière grande famille du roman non encore abordée. Ainsi, par des entrées diverses nous aurons pénétré dans la plupart des appartements de l’immeuble et lu un nombre important des histoires racontées dans le livre. Découverte spatiale certes mais aussi temporelle puisque notre lecture aura permis de remonter le temps et de couvrir cent ans, entre 1875 et 1975 – date cruciale du roman puisqu’elle marque la mort du personnage central Bartlebooth, le 23 juin 1975, et le point de départ du roman (se voulant une image figée, photographie multicolore et dupliquée au nombre de vies entrevues, de ce jour fatidique peu de temps avant huit heures du soir).

Tout d’abord appréhendée sous l’angle de la description la famille Altamont permet d’aborder des thèmes tels que celui de l’ethnographie à travers l’histoire de Marcel Appenzell. On pense ici aux missions ethnographiques et linguistiques menées par Michel Leiris (1901-1990) en Afrique – auteur d’ailleurs mentionné à la fin du roman dans le post-scriptum. C’est par les Appenzell que Madame Altamont obtient l’appartement rue Simon –Crubellier « Les Altamont – Madame Altamont est une lointaine petite-cousine de Madame Appenzell – reprirent son appartement au début des années cinquante ». L’importance de la famille gravite essentiellement autour de l’histoire personnelle du couple, Cyrille et Blanche. Blanche avorte dans sa jeunesse d’un enfant non désiré et demande à son ami d’enfance Cyrille de l’aider dans cette épreuve. Le couple naîtra de ce secret partagé – secret que Cyrille dans l’ultime chapitre de la famille relate au moyen d’une lettre émouvante adressée à son épouse. On constate alors en lisant la longue lettre de Cyrille le changement de ton dans la narration. Alors que la plupart du livre est descriptif ou narratif mais toujours distancé par rapport au lecteur, la lettre nous plonge dans l’univers du personnage et revêt un caractère psychologique inhabituel.

En conclusion j’aimerais reprendre les raisons pour lesquelles j’ai fait le choix de ce roman.

La vie mode d’emploi est un livre de fiction atypique, dans le sens où il couvre tous les genres sans véritablement en aborder aucun : essai, roman, nouvelle, fait divers, etc. Il témoigne avant tout du génie exemplaire de son auteur. On peut certes parfois le lui reprocher (trop d’espièglerie, trop d’énigmes), mais il faut néanmoins noter qu’il existe bien. Maître dans le maniement des mots, des techniques et contraintes, créateur de mondes, manipulateur de citations, Perec nous étonne en permanence. J’aime d’ailleurs l’associer à l’image de l’équilibriste ou du jongleur. En bon élève de Queneau et membre de l’OuLiPo il se complaît dans la difficulté et sème des embûches qui lui permettent à la fois d’avancer et de faire avancer son lecteur.

On est ainsi plongé dans un univers aussi complexe que banal, fait de petits riens et de grandes idées, à l’image de la vie elle-même, celle pour laquelle Perec voulait nous apporter un « mode d’emploi ».

Déroutant par sa richesse et parfois presque agressif dans la manipulation du savoir encyclopédique (gardons en mémoire que Perec a mis dix ans à écrire son roman et a fait des tonnes de recherches avant de pouvoir nous « éblouir » de citations et d’allusions culturelles et littéraires) ce livre permet cependant d’être abordé de façon non linaire, au gré des chapitres, et donc sous une forme presque ludique qui en facilite l’approche.
A chacun alors de choisir son appartement, son histoire, son propre mode d’emploi.

2 comments
  1. Un grand merci Isabelle pour ces textes clairs et précis sur Perec et son œuvre majeure. Vous nous donnez les bonnes clefs de lecture et ouvrez grandes les portes de cet immeuble dans lequel un lecteur non averti pourrait se perdre comme dans un labyrinthe. Des explications qui donnent envie de lire l'œuvre mais aussi de découvrir un courant littéraire plus large : l’Oulipo.

  2. Marc Lacroix (Belgique) said:

    Après avoir lu l’histoire du physicien italien Ettore Majorana, disparu abruptement un jour et jamais retrouvé (lire “En cherchant Majorana, le physicien absolu”, d’Etienne Klein), je me suis souvenu combien l’histoire de Marcel Appenzell et de sa disparition à la recherche des insaisissables Kubus avait impressionné mes années d’adolescent, il y a 35 ans. Sans doute parce qu’à cet âge, on est travaillé par un grand intérêt pour le monde parfois mélangé à une envie paradoxale de s’éloigner -définitivement- du commerce avec les hommes. Je conserve pour l’ensemble du roman, dont je possède encore l’exemplaire, l’amour fidèle qu’on peut avoir pour un ami un peu éloigné. Enorme merci pour cette page, Isabelle !

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