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pureté

Droite, la tige du grenadier semble flotter sur l’eau du bol en céramique, ses feuilles d’un vert foncé sont serrées les unes aux autres ; des boutons sont encore fermés, des fleurs orange vif ouvertes en pétales épais et comme froissés. Il y a quelques minutes, le bouquet d’inspiration japonaise, n’était qu’une simple branche au jardin, celui qui court en de multiples terrasses sous la tonnelle au toit de passiflores. Un morceau de terre surplombe l’autre, chacun est arrêté par un muret de soutènement en pierre sèche et d’un petit escalier à même la muraille que l’on descend attentifs à ne pas glisser. Une journée de juin, au cœur de l’Ardèche, les cigales viennent de se mettre à chanter, signe que l’été est là. La nature est assoupie par la chaleur, mais le ciel soudain assombri gronde sous l’orage. Au soleil répond bientôt la pluie, drue, violente ; puis le ciel se fend d’un grand sourire multicolore qui encercle la vallée en contrebas. La brise fait remonter des odeurs de terre, de châtaigniers et d’herbes humides. 

Cinq ans déjà se sont écoulés depuis mon dernier passage, une période trop longue assurément mais je constate, ravie, que rien n’a vraiment changé. Certes, le jardin est encore plus fourni et beau qu’il n’était alors ; quelques améliorations techniques facilitent le quotidien mais le reste est à l’image de ce que j’avais gardé en mémoire. Ce qui surtout n’a pas pris une ride, c’est l’amitié partagée, la conversation qui se poursuit de Vienne à Toulouse, de Paris à Chicago, jusqu’ici. Des pins et arbustes cachent la maison taillée en pierre de grès. Massive et prête à résister aux orages de montagne, elle donne pourtant une impression de légèreté quand d’en bas on l’aperçoit accrochée à flanc de coteau ; petite tâche brunâtre, dans un océan de verdure où se distingue le bleu des volets en bois. Il faut descendre plusieurs volées de marches disjointes pour en trouver l’entrée. L’intérieur se compose d’espaces en voûte comme dans les caves de la région mais aussi de grandes baies vitrées donnant sur plusieurs terrasses qui surplombent un paysage époustouflant. Campés sur l’une d’elles, on admire les potagers, les champs d’oliviers, de blé, les forêts et vignes au loin, puis enfin les montagnes à l’horizon. 
La maison, son jardin, et tous ses recoins (ils sont nombreux) accueillent chaque été les amis venus d’un peu partout dans le monde. Les langues et cultures se croisent, les activités et ateliers s’épanouissent : jardinage, lecture, yoga, cuisine, méditation, travail sur bois, peinture – rien d’exhaustif. 
Ici, dormir redevient simple, manger est une fête, piocher dans la bibliothèque une évidence et converser un verre ou une tisane à la main la fin naturelle de toute soirée. 

Lors de chaque visite, il y a aussi quelques délicieux incontournables : la descente au village où l’école et la mairie jouxtent l’église, le passage à la chèvrerie, chez le boulanger-pâtissier local qui œuvre de chez lui et vend essentiellement sur commandes préalables, ou encore les balades et baignades dans les forêts et sources attenantes aux noms de contes de fée, la rencontre enfin et surtout des deux frères bénédictins de la Demeure Notre Père, située à quelques kilomètres de là.

On y accède par une voie escarpée et pentue qui débouche sur la chapelle où les frères officient plusieurs fois par jour ; il y a les Laudes du matin, l’Eucharistie du midi et les Vêpres du soir. On arrive ensuite à la Demeure, datant du 16e siècle et encore tout imprégnée des siècles passés. La lourde porte en bois franchie, on pénètre dans une courette intérieure qui dessert à droite un large four à pain ainsi que l’enclos à moutons ; à gauche, le « magasin » où s’empilent les bocaux et produits du jardin qui sont ensuite vendus aux passants. Au bout de la courette vient la partie habitable, sur deux étages avec une pièce de vie commune aménagée humblement d’une table en bois patinée par le temps, de quelques chaises en paille, d’une horloge qui scande les heures et d’un âtre noirci par les ans. Une petite statue de vierge trône sur la commode. La bâtisse en pierre n’aime pas beaucoup les ouvertures et l’intérieur est aussi frais que sombre. Au fond, un couloir débouche sur le jardin aux dizaines de terrasses couvertes d’arbres fruitiers, de légumes et de fleurs colorés. Tout attire le regard et fascine mais c’est l’image de la tonnelle de kiwis que j’emporte éblouie. 

Les deux frères vivent depuis près de cinquante ans une vie monastique au rythme des prières, du travail agricole bercé par les saisons et des visites de pèlerins de passage. Il font leur pain une fois par semaine, cultivent les légumes et fruits qu’ils consomment, élèvent des moutons dont ils prélèvent la laine et la viande, font du miel qu’ils vendent avec des conserves et confitures de châtaignes. Le petit apport financier vient augmenter leurs maigres retraites et permet de pourvoir aux frais de maintenance de la ferme, de compléter aussi leurs besoins alimentaires et domestiques. 

Qui frappe à la Demeure Notre Père est reçu avec un large sourire, des yeux brillants de bienveillance et avec pleins d’anecdotes sur la vie à la ferme, sur les animaux, les récoltes. On apprend ainsi qu’un loup sévit depuis peu dans la région et a tué deux de leurs agneaux, que les lézards du jardin peuvent être aussi gros que des alligators, qu’ils sont tachetés bleus et verts, inoffensifs mais n’ont peur de rien, que les rats des champs volent sans vergogne l’huile d’olive ou le vin encore en tonneaux en trempant leurs queues dans le liquide puis en le léchant, tout simplement… Serions-nous dans une fable de La Fontaine, un conte de Perrault ?

Subjuguées, nous décidons de rester pour les Vêpres dans la chapelle, une messe faite essentiellement de chants accompagnés par la cithare que joue l’un des frères. Deux bancs sont accolés au mur, l’autel fait face à la porte. L’heure est à la communion, à la méditation et deux retraitants qui partagent pour quelques semaines la vie des frères s’ajoutent à notre petit groupe. 
Un peu plus tard, nous remontons le chemin, silencieuses, émues surtout par ce moment hors du temps, si spécial et si beau, alourdies aussi par plusieurs courgettes et salades dont les frères nous ont fait don et que nous dégusterons le soir même en pensant à eux, à leur joie, leur foi et leur bonté qui agissent comme un baume sur tous ceux qui passent là-bas. 

Si je voulais être exhaustive sur ce court séjour en Ardèche, il me faudrait raconter également les discussions sur Cohen, Perec et la Grèce autour d’une grande marmite à confiture, à tourner à la spatule en bois une mousse d’abricots avec le voisin et ami du lieu qui aura la gentillesse de me ramener à la fin du périple vers le premier mode de transport accessible, soit dix kilomètres plus loin, mais aussi les discussions sur les livres lus et à lire, sur les voyages à venir, en concoctant quelques recettes méditerranéennes qui épousent la récolte du matin,….quelques jours en Ardèche et un profond sentiment de gratitude ainsi qu’une profusion d’impressions, de flagrances que j’emporte avec moi sur la route. 

Elvigami

Le monde n’est plus, vive le monde ! Comme l’adage populaire le faisait entendre pour les rois, lorsque l’un s’éteint, l’autre s’élève et reprend le flambeau de plus belle. En bref,  la flamme demeure.

Différence et éloignement balayés, nous voici depuis quelques semaines à la même enseigne, de Honolulu à Paris ou Chicago. Dans notre bulle, et bien qu’hyper connectés avec une prolifération d’écrans à tout vent, nous sommes tous étrangement face à nous mêmes, à nos propres limites ou bien à l’infini des possibles.

Les plus fortunés évoluent dans de grands espaces voire dans leurs jardins ou sur leurs terrasses (j’avoue les envier pour l’extérieur à l’intérieur), les autres dans quelques mètres carrés, avec ou sans lumière directe. Chacun cependant, est confronté à redéfinir le quotidien et recréer une sphère de vie nouvelle.

Entre télétravail et télé-virtualité, on s’adonne alors à une pléthore d’activités selon les goûts et les talents de chacun: on cuisine et fantasme non stop sur le prochain plat (si tant est que cela ne fût pas de mise auparavant d’ailleurs), on relit les livres de sa bibliothèque, ou bien attrape celui qui s’empoussière depuis des mois sur la table de chevet, on improvise des concerts gratuits pour voisins médusés, on bouge sur place en se mettant au yoga et à la méditation, on prévoit l’après confinement et ses prochaines vacances au grand air (surtout de l’air !), on étudie, philosophe sur le sens de la vie et se remémore un temps passé, ou avouons-le aussi on se chamaille gentiment en famille pour mieux se sentir vivre ensemble.
A chacun de composer.

Ici, en plus du reste, on laisse parler le papier qui se lit en deçà des mots.

Roses Or et Argent Origami     Rose rose sur fond bois clair    3 roses japonaises avec baguette
Tantôt uni, tantôt coloré, mat ou satiné, dense ou léger, petit ou grand il raconte son histoire.

Jonquilles violettes jaunes et oranges          Table rouge         Fleur plate violette

Les lignes s’entrelacent, les surfaces planes s’envolent et le volume advient. Il en sort un monde chatoyant de petites créatures, d’animaux, de fleurs et d’objets.

 

Rose Rouge Origami             Jonquilles violettes et jaunes              Rose en bouton rouge sur tige

Et bien sûr
aucune coupure, aucun collage
juste le papier, ses limites et ses possibilités.

 

Ecureuil          Rose orange sur tige           Cheval et mur orange
Une passion incroyablement simple ou extraordinairement complexe,
que seuls rythment le temps, l’envie et la patience.

 

Lys bleu         Rose Jaune Origami         Mini lapin japonais

Le mariage, en beauté,
de la poésie et des mathématiques,
de la structure et de l’imagination.

 

Fleur japonaise plate        Crane japonais        Boite japonaise

shaker village dessin tba

On y arrive par une petite route de campagne flanquée de longues barrières blanches derrière lesquelles des chevaux attendent d’être montés. C’est une enfilade de prés dans un espace vallonné. L’autoroute bruyante est déjà loin ; les voitures se font rares et les maisons sont de plus en plus espacées. Elles bordent le bas côté, ou trônent plus imposantes au sommet d’une allée. Nous sommes dans le Kentucky, à quelques heures de Chicago, et bientôt sur la gauche une pancarte indique le but du voyage : Shaker Village of Pleasant Hill.

Le village en question se compose d’une trentaine de bâtisses, en bois et en briques, certaines petites d’autres grandes, séparées par un chemin de terre et par des clôtures faites de pierres savamment empilées ; de hangars aux charpentes massives, de quelques enclos cultivés et d’un cimetière où reposent les derniers habitants du lieu. Car il n’y a plus d’occupants depuis 1923 et Shaker Village est maintenant un gîte, un lieu de retraite pour celles et ceux qui souhaitent se ressourcer. On y séjourne en famille, seul ou en groupe et savoure un endroit hors du temps, propice au silence et à la réflexion.

Plaisant Hill fut fondé au début du 19esiècle par une poignée de croyants venus de New England. Leur foi se basait sur un christianisme ascétique aux règles strictes dont les trois grands axes étaient: travail, célibat et spiritualité.

A l’origine, il y a Ann Lee, alias « Mother Ann », une ouvrière analphabète qui en 1774 fuit l’Angleterre et s’installe sur la côte Est pour y pratiquer la religion qui s’est imposée à elle lors d’une vision. Elle y crée la première communauté Shaker ; ce nom est donné en raison des danses extatiques exécutées par les fidèles lors du culte (de l’anglais « shake » signifiant « vibrer » ou « trembler »).  L’austérité de la vie shaker n’arrête cependant pas les adeptes qui, séduits par la sincérité et par les valeurs des Shakers, rejoignent en masse la nouvelle utopie religieuse.

A son apogée en 1840, on compte plus de six mille membres répartis dans dix-neuf communautés dans des états comme le Maine, Vermont, New Hampshire, Massachussetts, Connecticut, Ohio, Indiana et Kentucky. Des familles rejoignent les Shakers et acceptent de troquer leur statut d’époux et d’épouse pour celui de frère et sœur ; les hommes vivent d’un côté, les femmes de l’autre ;  les enfants sont ensemble sous la supervision de quelques adultes. Chaque maison est dotée d’une double entrée avec deux cages d’escaliers distinctes afin de respecter la stricte séparation des sexes. En revanche, les droits échus aux membres sont exactement les mêmes, pour les hommes comme pour les femmes, et ce indépendamment de leur couleur de peau (rappelons au passage que l’abolition de l’esclavage ne sera proclamée qu’en 1865 et que le droit de vote des femmes sera ratifié en 1920 seulement !)

Les journées à Plaisant Hill commencent tôt et sont ponctuées par le travail – un travail manuel mais aussi intellectuel et spirituel. Certains sont fermiers, charpentiers, apiculteurs, boulangers, cuisiniers, tisserands; d’autres chimistes, instituteurs, herboristes, architectes voire inventeurs car tout ce qui peut alléger la tâche quotidienne et apporter plus de plaisir est loué. Et pour que tous puissent développer leurs talents et maîtriser plusieurs métiers, les tâches de chacun alternent régulièrement. On prête aux Shakers plusieurs innovations, celles des tissus imperméables, des vêtements ne nécessitant aucun repassage, de la pince à linge en bois, du balai plat ou encore de la machine à laver; la première scie circulaire aurait également été inventée par une femme shaker. Le village est un des premiers à avoir l’eau courante et l’hygiène fait partie des pratiques quotidiennes. Les travaux sont dignifiés ; exécutés avec respect et soin, ils deviennent en quelque sorte une façon de rendre hommage à dieu.

Ainsi, les Shakers construisent leurs maisons, fabriquent leurs meubles, tissent et cousent leurs vêtements – Tout est simple, ordonné et efficace, sans aucun ornement. Ils cultivent pour se nourrir et vendent leurs produits à l’extérieur de la communauté. Les rituels rythment la vie de tous les jours, une façon peut-être de mieux discipliner les corps et de sublimer les interdits. Les services religieux sont fréquents et ils ont lieu dans le « Meeting House» où tous se retrouvent alors: hommes, femmes et enfants. Ils prient, chantent et dansent, parfois pendant des heures – la musique et la danse étant perçues comme d’autres moyens de se rapprocher de dieu.

Ce qui frappe lorsqu’on reste à Plaisant Hill, c’est la beauté sobre de l’architecture et la modernité des valeurs shakers; ce sont les lignes épurées des escaliers droits ou en colimaçon, la clarté minimaliste des chambres, la rigueur patinée des commodes, l’habilité des boîtes en bois de toutes tailles pour y ranger vêtements et objets, l’ingéniosité des patères qui courent le long des murs afin d’y accrocher manteaux, chandeliers ou chaises.

Shaker Village of Pleasant Hill, c’est un lieu à part où intelligence rime avec perfection et harmonie et où en conséquence, il fait parfois bon se retirer.
(https://shakervillageky.org)

shaker village maison brique  shaker village 2  shaker village escaliers

 

shaker village 1  shaker village 6  Shaker Village maison pierre.JPG

La plus belle de mes vignettes estivales,
Deux perles rayonnantes vers lesquelles je tends
Deux grands yeux au monde innocents, un regard franc
Que rien encore n’a pu toucher, si loin du mal !

La vie coule dans sa prunelle émeraude
Minérale et précieuse, toujours mutine
elle me raconte une histoire cristalline
Et parle sans mot dans une langue chaude.

Les traces de jeunesse en mille flammettes
Aux beaux jours jaillissent au front des pommettes
Adoucissent le visage en amande

De joie, le nez se plisse, puis se retrousse,
ne laissant qu’une tendre petite frimousse,
Un air câlin qui chaque matin me transcende.

les yeux de Paul

Image«Between the folds», le documentaire de l’Américaine Vanessa Gould, sorti en 2008 révèle le monde connu et méconnu de l’origami. Nous sommes loin ici des cocottes en papier que chacun sait plus ou moins faire et expérimente joyeusement en famille. Le papier devient statue, forme géométrique complexe, objet aux mille facettes – un mélange unique de technique et d’émotion.

Plusieurs artistes prennent la parole, parlent de leur découverte de l’origami, de leur fascination et de leur travail incessant pour dompter un art qui semble sans limite. Un pli, puis un autre, des centaines pour les plus experts et la surface s’incarne sous nos yeux.

Le papier prend corps et âme. Il devient sens.

Le documentaire est bref. Il ne dure que 55 minutes et semble ne faire qu’aborder le sujet pour mieux nous le laisser découvrir. On ressort de ce film avec l’envie de créer, de se perdre « entre les plis ». Car c’est bien là que la magie opère, dans cette recherche par l’art d’un moment de grâce et d’un au-delà, situé « entre » les plis.

La tasse de thé de Proust distille son parfum car l’origami aussi est un monde qui se déplie, se multiplie –  une délicieuse mise en abyme qui nous transporte dans l’espace et le temps.

Image

Je l’ai cherché mais ne l’ai pas trouvé, ici aucun fleuriste n’avait prévu. Je me l’offre donc, ainsi qu’à mes lecteurs, virtuellement.

Je ne sais pas s’il porte vraiment bonheur, mais je sais que son parfum est entêtant, ses clochettes délicates et pures ; qu’il symbolise les premiers beaux jours de l’année et que sa vitalité à survivre, s’étaler, se propager contraste avec son apparente fragilité.

Une cascade de bulbes blanches glisse le long d’une tige légère, elle-même insérée dans un écrin de feuilles vertes et dures, car un brin de muguet vient toujours accompagné et bien entouré, il n’est jamais seul.

Lily of the valley pour les uns, Maiglöckchen pour d’autres, il en a inspiré plusieurs. Je me contenterai de reprendre dans le texte et pour le plaisir de l’entendre le poème d’Eichendorff.

Maiglöckchen

Läuten kaum die Maienglocken,
leise durch den lauen Wind,
hebt ein Knabe froh erschrocken,
aus dem Grase sich geschwind.
Schüttelt in den Blütenflocken,
seine feinen blonden Locken,

Und nun wehen Lerchenlieder
und es schlägt die Nachtigall,
von den Bergen rauschend wieder
kommt der kühle Wasserfall.
Rings im Walde bunt Gefieder,
Frühling ist es wieder
und ein Jauchzen überall.