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poésie

Elvigami

Le monde n’est plus, vive le monde ! Comme l’adage populaire le faisait entendre pour les rois, lorsque l’un s’éteint, l’autre s’élève et reprend le flambeau de plus belle. En bref,  la flamme demeure.

Différence et éloignement balayés, nous voici depuis quelques semaines à la même enseigne, de Honolulu à Paris ou Chicago. Dans notre bulle, et bien qu’hyper connectés avec une prolifération d’écrans à tout vent, nous sommes tous étrangement face à nous mêmes, à nos propres limites ou bien à l’infini des possibles.

Les plus fortunés évoluent dans de grands espaces voire dans leurs jardins ou sur leurs terrasses (j’avoue les envier pour l’extérieur à l’intérieur), les autres dans quelques mètres carrés, avec ou sans lumière directe. Chacun cependant, est confronté à redéfinir le quotidien et recréer une sphère de vie nouvelle.

Entre télétravail et télé-virtualité, on s’adonne alors à une pléthore d’activités selon les goûts et les talents de chacun: on cuisine et fantasme non stop sur le prochain plat (si tant est que cela ne fût pas de mise auparavant d’ailleurs), on relit les livres de sa bibliothèque, ou bien attrape celui qui s’empoussière depuis des mois sur la table de chevet, on improvise des concerts gratuits pour voisins médusés, on bouge sur place en se mettant au yoga et à la méditation, on prévoit l’après confinement et ses prochaines vacances au grand air (surtout de l’air !), on étudie, philosophe sur le sens de la vie et se remémore un temps passé, ou avouons-le aussi on se chamaille gentiment en famille pour mieux se sentir vivre ensemble.
A chacun de composer.

Ici, en plus du reste, on laisse parler le papier qui se lit en deçà des mots.

Roses Or et Argent Origami     Rose rose sur fond bois clair    3 roses japonaises avec baguette
Tantôt uni, tantôt coloré, mat ou satiné, dense ou léger, petit ou grand il raconte son histoire.

Jonquilles violettes jaunes et oranges          Table rouge         Fleur plate violette

Les lignes s’entrelacent, les surfaces planes s’envolent et le volume advient. Il en sort un monde chatoyant de petites créatures, d’animaux, de fleurs et d’objets.

 

Rose Rouge Origami             Jonquilles violettes et jaunes              Rose en bouton rouge sur tige

Et bien sûr
aucune coupure, aucun collage
juste le papier, ses limites et ses possibilités.

 

Ecureuil          Rose orange sur tige           Cheval et mur orange
Une passion incroyablement simple ou extraordinairement complexe,
que seuls rythment le temps, l’envie et la patience.

 

Lys bleu         Rose Jaune Origami         Mini lapin japonais

Le mariage, en beauté,
de la poésie et des mathématiques,
de la structure et de l’imagination.

 

Fleur japonaise plate        Crane japonais        Boite japonaise

Delerm*
Dernier Delerm, et nonobstant l’évocation que mes oreilles germaniques y perçoivent, le bruit se résume aux échos du monde, aux brides de mots volés dans la rue ou au coin d’une tablée entre amis.
Il s’apparente surtout à la rumeur de la pluie, comme elle à la fois douce et irritante.

Fascinés, on entend, on regarde, on se laisse mener d’une scénette à l’autre, revivant des tableaux du passé, reconnaissant le sourire aux lèvres et les yeux brillants des situations ô combien familières. Nous sommes en famille, en visite ou soirée, assis au cinéma, chez le coiffeur, à faire la queue chez un commerçant, ou encore en voyage dans le Pouliguen ou ailleurs – le décor et les costumes changent, cependant le spectacle reste le même.

« Et vous avez eu beau temps ? », un recueil de soixante-dix vignettes qui a une saveur qui n’est pas sans rappeler la dernière gorgée de bière. D’emblée, l’interrogation est posée et derrière d’apparentes banalités, il s’agit de questionner les signes, le mystère du langage, comprendre ce qui est dit mais surtout ce qui ne l’est pas. Deux pages suffisent pour croquer un microcosme social, pour déjouer les pièges du discours policé ou populaire. La forme brève, le ton enjoué, la critique de mœurs et les réflexions morales s’inscrivent dans la tradition des moralistes français. Certains passages se rapprochent de la maxime et font mouche : « L’honnêteté, une vertu qui semble d’évidence pour ceux qui la pratiquent, et fait jeter le voile de la méfiance sur ceux qui la revendiquent » ou « Je vaux ce qu’on m’estime, et ne suis pas assez orgueilleux pour mépriser toutes les vanités », ou encore : « Aimer, c’est avoir quelqu’un à perdre, c’est donc avoir peur ».

Désinvolte, amusé, parfois un tantinet piquant, Delerm lève les masques, montre le dessous des phrases anodines : « pour être tout à fait honnête avec toi » « on peut peut-être se tutoyer ? », « c’est pas pour dire, mais », « abruti, va ! ».
Ah ! Les coulisses du langage, pour qui sait écouter et décoder.

D’humeur polissonne et tous les sens en alerte, le lecteur butine, badine, lutine. Trois verbes certes un peu désuets, mais qui donnent bien le ton d’un texte toujours léger, au vocabulaire choisi voire précieux, aux envolées lyriques : « C’est le milieu de l’après-midi, une heure sans heure, alentie par la chaleur », un texte enfin qui sait transmettre avec humour la fraîcheur du discours sans pour autant en être dupe.

Lire Delerm, c’est partager un moment de plaisir (se faire plaisir) et surtout ne rien prendre pour argent comptant.

Livre HDV

  • Hervé de la Vauvre, vous êtes le président d’administration de l’Alliance Française à Chicago mais aussi et surtout le président et CEO de Griffith laboratories, ainsi que de nombreuses autres organisations axées sur le commerce. Vous êtes ancré dans le monde des affaires mais aussi dans celui des lettres et c’est à ce titre que nous sommes ici aujourd’hui car nous parlerons poésie.
    Vous avez publié deux recueils de poésie : « Deux Regards » et « L’Absurde, l’Amour et la Raison » sur lequel nous axerons notre entretien. Mais je vous laisse vous présenter et nous en dire plus sur votre parcours et votre biographie.

 

Permettez moi tout d’abord de rectifier un point, je suis ex-CEO et ex-président mondial de Griffith Foods (la société a changé de nom). En effet je ne le suis plus en titre depuis octobre 2016 puisque j’ai annoncé il y a trois ans que je prendrai ma retraite à la fin du mois de mars 2017. Ces derniers mois j’ai fait le tour de toutes les unités de Griffith Foods dans le monde pour dire au revoir.

Je suis né au Maroc, j’y ai vécu seize ans. Cela m’a beaucoup marqué et explique certainement ma passion pour les cultures différentes. Lors de ces dix-sept dernières années en tant que président mondial du groupe, j’ai eu l’opportunité d’aller sur tous les continents, à la rencontre de ces cultures.

Je suis le second d’une fratrie de cinq enfants et un homme très attaché aux valeurs de la famille. D’ailleurs, quand on s’inquiète de ce que je vais faire à la retraite, je dis toujours que je serai le président de la famille – la seule différence c’est que j’aurai comme chairman ma femme, Isabelle.
Je suis sportif. A mon retour du Maroc j’ai pratiqué le sport au niveau national en demi-fond et j’aurais volontiers choisi cette voie. L’entraîneur de l’équipe de France m’avait alors demandé de choisir entre le sport et les études. J’avais opté pour le sport mais mon père, lui, pour les études. Je reste cependant un passionné de sport. Il m’a à la fois beaucoup donné et appris, notamment le respect de l’autre et apprendre à perdre en sachant tirer profit de ses défaites. Ensuite, j’ai eu la chance de rencontrer Isabelle que j’ai connu enfant. Nous étions voisins de vacances (ma mère était une amie de son père). Dans un petit village de France deux familles ont donc fini par se rejoindre. Nous avons depuis tout partagé et je ne vous étonnerai pas en vous disant que mes premiers poèmes lui sont dédiés.

  • Effectivement il y a dans ce recueil plusieurs poèmes sur la famille, notamment sur Isabelle…

Pour revenir à mon parcours, je suis ingénieur agronome avec ensuite un master en business. J’ai fait ma carrière dans deux groupes : le groupe CLIN-Midy industrie (qui était le premier laboratoire pharmaceutique privé en France), puis chez Griffith où je suis rentré en 1996 après la mort accidentelle de Philippe Midy. Comme j’étais proche de la famille Midy, j’ai tout d’abord essayé de maintenir la société en tant qu’entreprise privée. Ils ont finalement décidé de vendre et j’ai donc rejoint les laboratoires Griffith à l’époque. J’ai eu la fonction de président Europe pendant trois ans, puis, à ma plus grande surprise on m’a ensuite proposé de devenir le président du groupe et de venir m’établir à Chicago.

  • Cela représente combien d’années de carrière dans ce groupe ?

Dix-sept ans de présidence du groupe, soit beaucoup de voyages et environ soixante à soixante-dix heures de vol par mois. Vous comprendrez que j’ai voulu mettre un terme à tout cela et consacrer plus de temps aux autres.

Je suis aussi, comme vous le mentionniez, président de l’Alliance Française de Chicago, ce qui est avant tout un plaisir car ce n’est pas le président qui fait l’Alliance mais les personnes qui y travaillent. J’essaie seulement d’apporter une discipline financière et aussi de soutenir les employés dans leur démarche.

Enfin, depuis douze ans je suis le président des conseils du commerce extérieur de France dans le Midwest.

J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie ; c’est pourquoi je me dévoue à ces organisations, car il faut savoir rendre aux autres.

En dehors de mon travail et d’Isabelle, ce qui compte pour moi ce sont mes trois enfants : Noémie, qui est mariée, vit au Maroc et a deux petites filles : Mathilde et Charlotte, ainsi que mes fils, Gaétan et Hubert, tous les deux mariés à des Américaines et avec chacun deux enfants : Isabelle Alice, Caroline et enfin le tout dernier né Patrick.

  • Cela fait donc six petits enfants?

Oui, c’est cela. Cinq petites-filles et un petit-garçon.

  • Merci pour cette introduction détaillée, j’ai une question qui me brûle les lèvres en vous entendant et aussi après lecture de votre recueil. Elle est tirée d’un de vos poèmes « Casino et Trafalgar ».
    Hervé de la Vauvre, « La vie est-elle un jeu de hasard ? »

C’est une bonne question. La vie est faite de chance et j’ai l’humilité de reconnaître qu’elle a joué un rôle important dans ma vie. La chance commence par les gènes tout d’abord, puis celle de naître dans une famille donnée et dans un pays particulier, enfin la chance des rencontres: dans mon cas avec Isabelle et deux personnes exceptionnelles : Philippe Midy et Dean Griffith – deux hommes qui avaient de grandes valeurs humaines.
Donc la chance est importante comme le hasard mais elle n’est pas suffisante. Il faut travailler. Le travail est la raison essentielle de la réussite et c’est vrai dans tous les domaines.

Lorsque vous présidez un groupe vous présidez d’abord des hommes et des femmes qui exigent beaucoup de temps de votre part. Il faut prendre le temps de les comprendre. Je me suis donc investi, énormément. Et lorsque ces dernières semaines je suis passé dire au revoir à tous mes collaborateurs, ma plus grande satisfaction a été d’entendre que j’avais été à la fois un homme exigeant et un humaniste – car c’est effectivement ce que j’ai souhaité être dans ma vie.

Et on ressent bien le côté humaniste de vos poèmes, l’importance donnée aux valeurs humaines. Au tout début du recueil vous apportez votre vision de la poésie : « La poésie met en musique les mots pour adoucir ou affermir l’expression de la pensée et des sentiments ». On retrouve là encore cette idée de rigueur alliée à la douceur.

Pendant vingt ans, vous avez donc été un chef d’entreprise, présent, exigeant, et en parallèle vous avez écrit. Votre écriture aurait pu vous amener vers d’autres genres, par exemple des romans mais vous avez fait essentiellement le choix de la poésie.
Pourquoi la poésie et qu’est-ce que la poésie pour vous?

Je suis né dans la poésie, comme le montre déjà mon faire-part de naissance. Mon père écrivait divinement bien ; il maniait le verbe avec dextérité, avec une grande sensibilité et ma mère déclamait, les poèmes de mon père bien sûr mais aussi les vers appris étant jeune.

Au Maroc, on avait la chance de temps en temps d’avoir la Comédie Française, et nous allions au théâtre. A quinze ans j’ai appris par cœur Le Misanthrope et Horace. D’ailleurs lorsque la Comédie Française est venue à Chicago pour jouer Le Misanthrope, je me souviens avoir déclamé à la réunion du conseil d’administration de l’Alliance: « Qu’est-ce donc? Qu’avez-vous ? Laissez-moi, je vous prie. Mais, encor, dites moi, quelle bizarrerie….Laissez-moi là, vous dis-je et courez vous cacher. Mais on entend, au moins, les gens sans se fâcher. Moi, je veux me cacher, et ne veux point entendre. » Ce sont les premiers vers du Misanthrope….Il me reste encore quelques tirades.

Ce que j’aimais dans la poésie par rapport à la prose, c’était la musique des mots. Prévert disait : « La poésie, c’est le plus beau surnom qu’on donne à la vie ». Je le rejoins dans cette idée, et j’aime la vie. Mais cet amour n’est pas exclusif, je travaille actuellement sur un livre d’art qui s’intitulera Casablanca, ville Art Déco. En fait, j’aime le beau, j’aime l’art en général. Isabelle et moi, nous collectionnons des dessins, des peintures et des meubles. J’estime que la poésie incarne la beauté. Elle est sans doute à la prose ce que le dessin est à la peinture – la forme la plus aboutie du dire et de l’écrit, parfois au détriment de la spontanéité d’ailleurs. Je crois être aussi un amoureux de l’harmonie au sens large, celle de la famille, celle qui existe entre les gens et les équipes avec lesquels j’ai travaillés. La poésie ajoute à l’expression des mots, elle est harmonie. Cependant, je ne me considère pas comme un poète, j’écris juste des poèmes pour ceux que j’aime.

  • On est tous poètes, je pense, à ses heures et ses moments, avec ou sans publication. Et dans vos poèmes, on perçoit effectivement cette dimension picturale et musicale.
    Vous nous dites avoir récité les pièces du 17e,, être passionné par Molière, je constate cette influence sur votre style, car vos poèmes sont plutôt de facture classique, avec une versification, des formes fixes et codifiées. Ces règles peuvent être perçues comme une contrainte ou bien encore comme un support à l’inspiration. Je pense ici à l’Oulipo, à Queneau, car qui dit contrainte dit aussi structure. Elle permet à l’intérieur de celle-ci souvent une grande liberté et elle peut même donner de l’élan.
    Jeune, vous avez donc été baigné dans un univers poétique, puis vous avez continué sur cette voie tout en faisant carrière dans le monde des affaires. Maintenant j’aimerais savoir le « comment » de votre poésie, si je puis m’exprimer ainsi. On sait que vous êtes un chef d’entreprise très sollicité et très pris, alors comment trouvez-vous le temps d’écrire ?
    Où écrivez vous? En voyage ? En transit? Dans les chambres d’hôtel ?
    On sait que Dany Laferrière écrit dans sa baignoire, Alain de Botton dans les aéroports…Vous, Hervé de la Vauvre, où écrivez-vous?

Les gens s’interrogent souvent, car on ne s’attend pas qu’un CEO toujours en voyage à travers le monde écrive de la poésie. Cependant, un homme d’affaires peut avoir de la sensibilité au même titre que tout le monde. On peut être un humaniste et un leader – c’est à souhaiter d’ailleurs.

Je ne prends jamais mon stylo pour écrire un poème. C’est généralement une idée qui s’impose, le fruit d’une émotion, d’une observation ou d’une inquiétude. Lorsque je suis seul, dans mon lit ou en avion, je pense et la musique des mots se met en place. Au moment où je prends mon stylo, le poème est fait. Je ne m’installe jamais devant une feuille de papier mais je laisse plutôt mûrir en moi l’écriture. J’ai toujours enseigné à mes enfants une règle simple : rester cinq minutes au lit le matin au réveil pour penser à sa journée, se demander comment faire plaisir à quelqu’un, comment donner plus de sens au quotidien. Ainsi, j’ai décidé il y vingt-cinq ans d’offrir chaque semaine douze roses à maman, ce qu’elle a eu jusqu’à la fin de ses jours, alors même qu’elle était atteinte d’Alzheimer et ne réalisait plus ce qui se passait autour d’elle. C’est une forme de poésie.
Le temps on le trouve toujours, du temps pour faire plaisir, pour donner.

  • L’écriture est donc pour vous comme une façon d’être au monde et de respirer – la poésie, sans feuille et sans papier, une poésie au/du quotidien.
    Alors parlons maintenant de la thématique de ce recueil « L’Absurde, l’Amour, la Raison ».
    J’ai été heureuse de constater que le chapitre sur l’Absurde est très court, un seul poème qui ouvre le livre, puis qui revient transformé à la fin.
    Chaque thème se présente ensuite sous forme de brèves définitions (un seul mot ou un verbe d’action) qui constituent ensuite le titre des poèmes à venir. On y lit le passage du jeune homme à l’âge adulte, la rencontre avec Isabelle, la naissance de vos enfants, l’amour pour vos parents, le chagrin aussi à leur disparition, le deuil, l’amitié. Dites-nous en plus sur les thèmes qui vous motivent?

La thématique du recueil part d’une certaine révolte, le rejet d’une évolution actuelle que je trouve dangereuse. Je m’insurge contre le non-sens, la provocation, la violence, la guerre, la confusion aussi qui existe dans le monde d’aujourd’hui entre l’égalité et l’identité ainsi qu’entre le concept et l’œuvre d’art (pour ce qui est du domaine artistique). Je trouve bien sûr que la modernité apporte des choses merveilleuses ; mais lorsqu’au restaurant je vois un jeune couple se faire face, chacun rivé sur son téléphone sans échanger un mot, je trouve cela profondément regrettable. Cet appareil est le contraire de la connexion, il isole.
J’aime l’individu, la différence – c’est formidable d’être différent. En tant que président d’un grand groupe, j’ai essayé de prendre ce qu’il y a de meilleur partout, dans toutes les cultures.
Dans mon premier poème il y a donc une certaine forme de révolte car on oublie trop que les deux piliers essentiels de la vie sont : l’amour et le bon sens. Si les gens remettaient l’amour (au sens large) et le bon sens (en respectant les lois du naturel) au cœur de leur vie, on pourrait arriver à un monde formidable. C’est pourquoi le même poème à la fin prend le contrepied du premier – il déroule ce qui serait si cela advenait, et si on remettait l’amour comme le bon sens au cœur de nos actions.

Au final, être président d’un groupe n’est pas plus difficile que d’être chef de famille. Etablir le bilan d’un grand groupe n’est pas plus dur que de faire celui d’une famille. Il faut revenir aux fondamentaux.
Toute ma vie, j’ai essayé de montrer que l’amour, c’est ce qu’il y a de plus beau.

  • Vous rendez donc dans votre écriture hommage à la vie et à l’amour. J’aimerais à ce propos que vous nous lisiez un poème. Il s’appelle « L’Elégance ». Il y a dans ce poème tout ce que vous venez de dire : l’harmonie, la recherche du beau, la lutte contre le vulgaire, et aussi l’idée de remettre ce fameux bon sens en avant.

J’aurai beaucoup d’émotion en lisant ce poème. En effet, je partageais l’amour de l’écriture et de la poésie avec mon père, qui était mon héros (comme vous l’avez maintenant compris). On s’envoyait parfois des poèmes sur un même thème. Mon père avait écrit sur l’élégance et je lui avais envoyé le mien, celui-ci.

Une fois d’ailleurs alors que je lui renvoyais un poème en écho au sien, il m’a dit : « L’élève a dépassé le maître », ce fut le plus beau compliment jamais reçu de lui. Ce n’était pas vrai bien sûr mais ces mots résonnent encore en moi.

LECTURE

« L’Elégance

Du goût pour s’apprêter au soin de l’attitude,
D’une mode éphémère aux bonnes manières,
L’élégance est un art dont on perd l’habitude
Oubliant le respect au profit du vulgaire.

L’élégance a, de l’art, la recherche du beau
Sa ligne est fluide, sa palette harmonie.
Légère et discrète, son sublime est l’oubli.
Elle est universelle et n’a point de drapeau.

De cette Grèce antique à la grande Florence,
De ce simple drapé jeté à l’abandon
Au damassé brodé de noble Renaissance,
L’élégance, du temps, a toujours eu raison.

De savoir se vêtir par toutes les saisons,
A savoir se tenir en toute occasion,
L’élégance est un art qu’il faudrait cultiver
Pour, chassant le vulgaire, imposer le respect.

L’élégance est aussi la noblesse des mots,
Ce savoir du dire comme il faut, quand il faut,
D’hommages présentés à l’art du compliment,
Le verbe peut parfois adoucir des tourments.

L’élégance est enfin toute une mise en scène,
Ce savoir du faire qui crée la différence,
D’un baisemain discret à l’art de préséance,
Le geste peut aussi en valoir quelque peine. »

  • Merci pour cette lecture à haute voix. Permettez moi une dernière question avant d’ouvrir au public, sur quoi travaillez-vous et que prévoyez vous maintenant que vous allez jouir de plus de temps?

Plusieurs projets vont voir le jour.
Pour l’heure j’ai publié deux recueils de poésie, ce livre dont nous avons parlé aujourd’hui L’Absurde, l’Amour et la Raison, et Deux Regards – le regard d’un père et d’un fils qui s’aimaient profondément, les poèmes de mon pères et les miens.

D’ailleurs à ce propos je vais vous raconter une histoire. Je devais aller en Chine et passais en France pour voir mes parents. Je me suis assis près d’eux et j’ai saisi leurs deux mains dans les miennes. C’est alors que j’ai eu un pressentiment, j’ai su que c’était la dernière fois que nous étions tous les trois ensemble. Contre l’avis de tout le monde, j’ai alors pris la décision de rester à Paris. Ma mère est décédée juste après. Six mois plus tard, j’étais en Thaïlande, je devais continuer vers le Japon, mais il y a eu le tremblement de terre. Je suis donc allé en Chine. La nuit venue, je me suis réveillé et soudain j’ai repensé au poème que j’avais écrit pour mes parents. Deux heures plus tard ma sœur m’appelait, mon père venait de mourir – il était mort au moment même où je m’étais récité ce poème dans mon lit. La poésie m’a donc ramené à mes parents, au moment où ils sont partis.

Après ces deux recueils de poésie j’ai écrit avec ma fille un livre sur le palais Lamrani à Marrakech ; c’est un livre d’art même si je n’ai pas pu m’empêcher d’y glisser quelques poèmes, quelques vers pour chaque pièce…

Début avril si tout va bien, je publierai un livre dédié à ma petite fille, il s’intitule : Les fables de Mathilde. Ce sont des histoires que j’ai racontées à ma petite fille aînée, Mathilde, avec laquelle j’ai une relation très fusionnelle. Toutes ces histoires sont maintenant regroupées dans un recueil, illustré. Un lexique à la fin explique aux plus jeunes les mots ou expressions difficiles comme « faire disette ». Les fables sont apparemment pour enfants mais la morale s’adresse à nous tous. La Fontaine, vous l’aurez compris, est un auteur que j’ai toujours admiré.

LECTURE de la fable « Le singe et la sagesse »

Enfin je le disais au début de notre entretien, le livre sur lequel je travaille actuellement s’intitule: Casablanca, ville Art Déco.

  • Le sujet d’un futur débat j’espère, merci Hervé de la Vauvre.

 

Chicago le 19 février 2017.jpg

A Chicago, un dimanche de février.
Tout devrait être immobile dans la glace.

Aujourd’hui pourtant,
le jour se pare de bleu et de vie.

Il est midi, près du lac.
Le microcosme de la ville se retrouve.
Epaules dénudées, pieds enfin libérés.

A l’horizon, un trait rose traverse un fin duvet blanc,
ciel et eau se confondent presque.
L’image est irréelle, comme retouchée.

Les pique-niques s’improvisent au son de radios calées entre deux pierres.
Les livres s’ouvrent puis se referment sur les visages endormis.
Les heures passent.
Jeux d’enfants, vélos azurés, coureurs aux maillots fluorescents.

Emerveillé, tout le monde devient photographe.
De gros appareils pendent parfois même au cou des badauds.
La caméra prolonge le regard,
Elle cherche à immortaliser la sensation de joie qu’engendre un jour printanier au cœur de l’hiver.

Lentement les armures tombent.
Etourdis par l’air chaud et les premiers rayons de soleil, les passants se voient enfin.
Bouches mollement arrondies, ils se sourient – heureux sans trop savoir pourquoi.

Le bleu du lac rejaillit au fond des yeux.
Seul ou non, chacun se retrouve entouré.
Le tableau force l’admiration.

Un nuage soudain dessine des tâches sur la surface étale,
cercles et volutes blanches

capturent l’attention.
Le temps oscille entre harmonie et beauté.

Chicago le 19 février 2017 -2.jpg

PlumeUne feuille longue de bronze patinée
Ou bien le reste d’un oiseau de passage,
Elle rappelle le poids et la langue des sages,
A ma droite, plate, sur mon bureau posée.

Si au bout on avait une tête aiguisée
Ce bel objet immobile et sans âge
Pourrait à nul doute avec apanage
D’une touche d’encre refaire l’alphabet

Glisser sur le papier, désinvolte frivole.
Mais la pointe arrondie empêche l’envol
Et le symbole reste entier – une invitation

A penser sans rature, à s’ouvrir aux mots.
Ceci prétendait n’être qu’un simple cadeau ;
Quand j’y vois toute une source d’inspiration.

La plus belle de mes vignettes estivales,
Deux perles rayonnantes vers lesquelles je tends
Deux grands yeux au monde innocents, un regard franc
Que rien encore n’a pu toucher, si loin du mal !

La vie coule dans sa prunelle émeraude
Minérale et précieuse, toujours mutine
elle me raconte une histoire cristalline
Et parle sans mot dans une langue chaude.

Les traces de jeunesse en mille flammettes
Aux beaux jours jaillissent au front des pommettes
Adoucissent le visage en amande

De joie, le nez se plisse, puis se retrousse,
ne laissant qu’une tendre petite frimousse,
Un air câlin qui chaque matin me transcende.

les yeux de Paul

Citronnier NarbonneTrois pièces entourent l’atrium, comme auraient dit les Latins, toutes partagent la même vue, celle d’un citronnier devenu géant au fil des ans. Les fruits pendent agglutinés les uns aux autres ; oblongs ils ont l’écorce rugueuse et dure, passent du vert foncé au vert tendre, puis au jaune éclatant. Ils ont peu de jus, quelques gouttes seulement qu’il faut extraire avec patience – une essence intense à l’arôme âcre et riche. Les feuilles denses protègent les agrumes et apportent la fraîcheur au lieu.

Je jette un regard furtif sur l’atrium ensoleillé et repense au magnifique poème de Goethe, sur le pays où poussent les citronniers. L’Italie pour lui et toutes ses promesses de joie, le midi plus simplement pour moi, suave et généreux.

Kennst du das Land, wo die Zitronen blüh’n,
Im dunkeln Laub die Goldorangen glüh’n,
Ein sanfter Wind vom blauen Himmel weht,
Die Myrte still und hoch der Lorbeer steht,

Dahin! Dahin
Möcht’ ich mit dir, o mein Geliebter, zieh’n.

Kennst du das Haus? Auf Säulen ruht sein Dach,
Es glänzt der Saal, es schimmert das Gemach,
Und Marmorbilder stehn und seh’n mich an:
Was hat man dir, du armes Kind, getan?
Kennst du es wohl?

Dahin! Dahin
Möcht ich mit dir, o mein Beschützer, zieh’n.

Kennst du den Berg und seinen Wolkensteg?
Das Maultier sucht im Nebel seinen Weg;
In Höhlen wohnt der Drachen alte Brut;
Es stürzt der Fels und über ihn die Flut.
Kennst du ihn wohl?

Dahin! Dahin
Geht unser Weg! o Vater, laß uns zieh’n!

Gedicht von Goethe –  “Mignon”

Genêts PeyrepertuseEntre champs et forêts de sapins, au pied des montagnes, quelques buissons résistent à l’aridité du lieu. Sauvages et heureux avec peu, ils reflètent le soleil, absorbent et renvoient ses rayons.
Au pays des oliviers papillonnent les bourgeons d’or.

Le paysage semble immuable, inscrit à jamais dans les terres, et si les vignes adroitement alignées ne venaient au fil des kilomètres ponctuer le décor, on pourrait encore se croire à l’époque cathare.

Grappes fleuries, arbrisseaux souples et robustes, sarments ancestraux,
Pins, lande et roche calcaire,
Le temps a un goût d’éternité.

Lauriers roses

*
Il est bientôt midi, tout le monde semble assoupi.

Nous descendons sous l’allée de Lauriers. L’arbuste mythique fait parti du paysage ici. Il est partout, en pot ou sous une forme imposante, une débauche de couleurs où le rose vif l’emporte parmi toutes les autres.

Mille variétés nous entourent, elles sont toutes différentes, lumineuses et odorantes. On dit l’espèce dangereuse, et pourtant fleurs, feuilles et rameaux parlent d’harmonie et de douceur.

Dix minutes de marche lente au frais de la tonnelle ombragée, et nous arrivons enfin à une longue bande de sable léchée par les vagues.

*

photo lavande

Des insectes voltigent affairés autour du bosquet en mouvance, le lutinent et se gorgent de nectar. La journée s’achève sur le jardin paisible. Nonchalante une silhouette passe, frôle du bout des doigts les épis ondoyants, attrape au hasard quelques tiges, les frotte dans le creux de ses mains à demi refermées.

Un parfum chaud monte de l’été.