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Daniel Pennac

 

ImageDe son adolescence à sa mort, un homme tient son journal. Avant de mourir il remet les carnets à sa fille, qui – livre étant- décide (on imagine) de les publier. La trame est simple, le projet cependant plus complexe car si « je » il y a, comme dans tout bon journal, celui-ci ne tient compte que du corps et de ses effets. Il ne s’agit donc pas d’un journal intime, ou d’un journal de bord mais du Journal d’un corps, le dernier roman de Pennac, un livre à la fois original, drôle et profond et qui pourrait se résumer par la phrase d’Antonin Artaud « du corps par le corps avec le corps, depuis le corps et jusqu’au corps » 

On suit la vie d’un homme, entre douze et 87ans. Il est sans nom, à quoi bon ? N’est-il pas monsieur tout le monde, l’homme en général, un corps parmi tant d’autres. Délaissé par une mère acariâtre, le jeune garçon, chétif, ombre d’un père aimant mais souffreteux et voué à une mort prochaine, décide de dompter ce corps dans lequel il se sent si mal. Il se met donc à l’écrire au quotidien, lui donne la parole pour mieux le maîtriser, le comprendre et ainsi l’ancrer dans la vie. Son but est de vaincre les peurs qui l’assaillent, devenir fort et ultimement trouver son identité. Qui suis-je ? Une réflexion qu’il est en effet bien difficile de dissocier du corps.

Il n’entre dans le texte aucune considération qui ne soit physique à la base, et on assiste au répertoire d’un corps dans toutes ses fonctions, émanations, transitions. L’exercice aurait pu être fastidieux, voire périlleux, il n’en est rien. Et même si certains passages manquent un peu d’oxygène (je me mets au diapason) ou tirent en longueur ; le livre est bien vivant, l’histoire et le contexte assis.

Apprentissage de l’adolescent qui tâtonne, jeux entre camarades d’internat, expériences érotiques de l’homme jeune, précautions de l’homme vieillissant exposé aux affres d’une machine qui lentement se détraque, résignation enfin devant la mort à venir – tout est noté, annoté au fil des années.

Pennac ne craint ni l’inventaire, ni la définition clinique des maux qui touchent le personnage central. Le texte reste néanmoins léger car le ton est enjoué, l’humour toujours présent. On sourit devant l’humilité déployée face aux limites humaines, s’amuse de certains comportements sociaux, suit avec joie la verve ironique et burlesque du narrateur/auteur qui n’est pas sans rappeler celle de Queneau ou de Perec. Le style est simple, épouse la langue parlée voire familière (« Keskifonpapa ?), ne crache pas sur les jeux de mots (« quarante-trois ans. C’est l’âge de ta pointure ! (…) Tu seras bien dans tes pompes »), ou expressions cocasses (« Les surgeons du duc de Montmorency » /ses fils ou encore « se prendre en main » /se masturber).

Les jours passent, les carnets se remplissent, une maladie chasse l’autre et les personnages s’inscrivent en filigrane. Quelques personnages restent flous (par exemple Mona, la femme ou Lison, la fille), d’autres en revanche sont riches en couleurs (Violette, la nourrice tant aimée, Tijo, l’ami de toujours ou Grégoire, le petit-fils). L’histoire est banale, seule ponctuée par les douleurs, plaisirs, ou aigreurs de notre « machine à être ». Mais la vieillesse venant, la réflexion gagne en profondeur et là où le souffle de l’homme vient à manquer, le livre prend vie – une vie vécue comme un corps à corps de tous les jours.

Le roman, paru en 2012 chez Gallimard, a finalement inspiré un autre artiste, l’auteur de bande dessinée, Manu Larcenet qui vient de revisiter à sa façon le Journal d’un corps de Pennac.

L’album est sorti en avril 2013 et comporte environ deux cent dessins à l’encre de chine. 

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