La famille Péricand est la première famille dont Irène Némirovsky fait le portrait et également la principale dans le roman.
Les Péricand représentent les valeurs conservatrices, catholiques et anti-républicaines «bien-pensants », « traditions », « hérédité bourgeoise et catholique », « attaches à l’Eglise », « tout leur faisait considérer avec méfiance le gouvernement de la République », « Charlotte Péricand estimait que seul l’esprit masculin pouvait juger sereinement des événements aussi étranges et graves ».
Le métier d’Adrien Péricand épouse parfaitement ses convictions, il est « conservateur d’un des musées nationaux » et son fils aîné, Philippe Péricand, suit la tradition familiale, il est « prêtre ». A l’instar des bonnes familles aristocratiques ou bourgeoises des siècles passés les fils étaient destinés soit à rejoindre l’Eglise soit à rejoindre l’armée. On pense ici au roman de Stendhal Le Rouge et le Noir (le rouge étant le symbole de l’armée et le noir celui de l’Eglise). Le second fils Péricand, Hubert, rêvera de carrière militaire.
La famille Péricand est riche et favorisée par le sort «Ils ne tenaient pas à l’argent, non, mais l’argent tenait à eux, en quelque sorte ! » (Pointe ironique de l’auteur, image qui fait sourire).
Lorsque le récit commence, Charlotte Péricand a « quarante-sept ans et cinq enfants ». « Femme de Dieu (…) à la moralité irréprochable » elle est énergique « toujours prête pour se rendre hors de chez elle », ni jolie, ni laide « peau extrêmement fine fripée par les années », « taches de rousseur parsemaient le nez fort et majestueux », « cheveux bruns et ternes qu’elle perdait par poignées depuis la naissance de son dernier enfant ». Elle a perdu trois autres enfants portés « presque jusqu’au terme de la grossesse».
Charlotte est condescendante avec le peuple, sûre de sa position supérieure et de son élitisme « Mme Péricand était de ces bourgeois qui font confiance au peuple. « pas méchants si on sait les prendre », disait-elle du ton indulgent et un peu attristé qu’elle eût pris pour parler d’une bête en cage ». Bien-pensante elle n’hésite pas à son retour du théâtre « comme elle n’avait pas le temps le reste de la journée, elle le faisait le soir en rentrant du théâtre » à réveiller « en sursaut » une domestique malade pour lui apporter des gargarismes. Elle ne comprend pas alors les remerciements « assez froids » de Madeleine et interprète son comportement comme une marque caractéristique de manque de bonne manière « C’était cela le peuple, jamais satisfait, et plus on se donne du mal pour lui, plus il se montre versatile et ingrat ».
Mme Péricand tient à marquer les distances entre la bourgeoisie et celle du peuple, appréhendant tout rapprochement de classes comme un « signe de mauvais augure », « Ainsi, pendant un naufrage toutes les classes se retrouvent sur le pont ». Elle n’apprécie pas la proximité des domestiques « la femme de chambre Madeleine, emportée par l’inquiétude, s’avança même jusqu’au seuil de la porte » et considère clairement le peuple comme inférieur (plus proche des animaux que des êtres humains) « Je pense, disait-elle, à ses amis (ceux de sa classe sociale), que ces pauvres vieillards infirmes (grand-père Péricand) souffrent d’être touchés par les mains des domestiques ».
Son interaction avec le peuple est toujours de haut en bas (maître/domestique), (œuvres charitables/pauvres).
Quant à Adrien Péricand, c’est « un homme strict » aux « scrupules religieux » un « petit homme potelé, d’allure douce et un peu gauche (…) au visage rose et bien-nourri ».
L’auteur souligne avec ironie les raisons qui déterminent principalement de la fidélité conjugale des époux Péricand « scrupules religieux interdisaient (à Adrien P.) nombre de désirs et le soin de sa réputation le maintenait à l’écart des mauvais lieux ». Non sans humour Irène Némirovsky enchaîne ensuite « Aussi, le plus petit des Péricand n’avait-il que deux ans ».
Son ironie cinglante apparaît encore lorsqu’elle décrit l’état de choc dans lequel se trouve Adrien à l’approche des troupes allemandes « M. Péricand tourna vers sa femme un visage qui reprenait peu à peu ses teintes roses, mais d’un rose mat comme celui des cochons fraîchement abattus ».
Cette métaphore (bourgeois/cochons) a été fréquemment employée pour décrire la bourgeoisie (ex. Jacques Brel « Les bourgeois, c’est comme les cochons, plus ça devient vieux, plus ça devient … »)
Le vieux Péricand que « son grand-âge faisait parfois retomber en enfance » est « infirme », « on l’installa dans son fauteuil roulant. Il est la plupart du temps indifférent au monde qui l’entoure « il ne reprenait toute sa lucidité que lorsqu’il était question de sa fortune ». Sa richesse, considérable, provient essentiellement d’un héritage « C’était un Péricand-Maltête, héritier des Maltête lyonnais ». Il y a très certainement ici un jeu de mots de l’auteur « Maltête » signifiant mauvaise tête (allusion critique aux bourgeois).
Son aspect est repoussant « vieillard qu’on mouche, qu’on habille » ou bien lors de la cérémonie du repas « (serviette nouée autour du cou), Il avait l’habitude de baver quand il voyait apparaître ce qui lui plaisait ».
Cette évocation de la vieillesse campée à travers le personnage d’un vieillard anciennement illustre mais devenu infirme et repoussant n’est pas sans rappeler le passage du bal à la Vaubyessard dans Emma Bovary de Flaubert.
« Cependant, au bout de la table, seul parmi toutes ces femmes, courbé sur son assiette remplie et la serviette nouée dans le dos comme un enfant, un vieillard mangeait, laissant tomber de sa bouche des gouttes de sauce. Il avait les yeux éraillés et portait une petite queue enroulée d’un ruban noir. C’était le beau-père du marquis, le vieux duc de Laverdière, l’ancien favori du comte d’Artois, dans le temps des parties de chasse au Vaudreuil, chez le marquis de Conflans, et qui avait été, disait-on, l’amant de la reine Marie-Antoinette entre MM. De Coigny et de Lauzun. Il avait mené une vie bruyante de débauches, pleine de duels, de paris, de femmes enlevées, avait dévoré sa fortune et effrayé toute sa famille. Un domestique, derrière sa chaise, lui nommait tout haut dans l’oreille, les plats qu’il désignait du doigt en bégayant ; et sans cesse les yeux d’Emma revenaient d’eux-mêmes sur ce vieil homme à lèvres pendantes, comme sur quelque chose d’extraordinaire et d’auguste. Il avait vécu à la Cour et couché dans le lit des reines ! » (Flaubert Emma Bovary, éditions GF 86, p. 83).
Le vieux Péricand est un être déplaisant qui n’hésite pas à manipuler sa famille au gré de ses humeurs « Lorsqu’un plat lui avait déplu ou que les enfants faisaient trop de bruit, il s’éveillait tout à coup de sa torpeur et prononçait d’une voix faible mais distincte : Je léguerai cinq millions à l’œuvre. Il est comparé à « une vieille et roide poupée », il est autoritaire et dominateur. Son but est de « punir, récompenser, décevoir, combler, partager ses biens terrestres selon sa propre volonté. Dominer autrui. Peser sur autrui. Occuper le premier plan ».
L’aîné des enfants, Philippe Péricand, est devenu abbé. On apprend au cours du texte qu’il a été touché par la tuberculose (maladie héréditaire qui a emporté « en bas âge deux sœurs d’Adrien Péricand) mais qu’il a guéri « après deux années à la montagne ». Il a l’apparence d’un « homme robuste » au « teint coloré », aux épais sourcils noirs » avec « un air rustique et sain ». Il enseigne « le catéchisme à des petits paysans du Puy-de-Dôme » se contentant d’une position humble dans l’Eglise. C’est un homme profondément bon, soutenu et guidé par la foi, « un saint comme Philippe », « un excellent prêtre.
Finalement, Il est tué avec une incroyable cruauté par les enfants dont il a la charge. Les enfants soudainement transformés en bêtes sauvages mettent à mort le prêtre « Ils se jetaient sur lui d’un bond silencieux, sauvage et désespéré, l’un d’eux le mordit, le sang jaillit. Mais ils vont me tuer, se dit Philippe avec une sorte de stupeurs. Ils s’accrochaient à lui comme des loups. ». Il trouve enfin la mort « pris par la vase » dans l’étang ou les enfants l’ont jeté « Ce fut ainsi qu’il mourut, dans l’eau jusqu’à la ceinture, la tête rejetée en arrière, l’œil crevé par une pierre ».
Philippe a une forte prémonition lors de sa visite à l’œuvre des Petits Repentis réalisant malgré sa foi et sa compassion « qu’il n’aimait pas ces malheureux enfants », il les compare alors à des « enfants des ténèbres » et « dès qu’il fut en leur présence, l’abbé Péricand éprouva un sentiment étrange d’aversion et presque de peur »), peur qui sera parfaitement justifiée quelques chapitres plus loin.
Hubert, le second fils du couple Péricand, est « un garçon de dix-huit ans », au visage enfantin « joufflu et rose », profondément exalté « rage au cœur » et rebelle « Familles, je vous hais » – Citation de A. Gide (1869-1951), dans Nourritures Terrestres.
Il fait souvent figure de cancre « Hubert qui récoltait les zéros au lycée, qui rongeait ses ongles, Hubert avec ses taches d’encre aux doigts » mais il reste néanmoins le personnage le plus sympathique de la famille Péricand, sa naïveté ou plus exactement candeur étant l’écho de son jeune âge.
Le caractère romantique d’Hubert qui s’identifie en permanence à un héros est relevé dans le vocabulaire employé pour décrire son état d’esprit lorsqu’il apprend l’imminence de l’invasion allemande « son imagination l’emportait », « vivement », répétition de « ils se battraient », « quelle vie excitante, merveilleuse ! », « bondit », « enivré » « farouchement ».
Tout dans son comportement relève de l’excès, de l’outrance, il appréhende la vie comme un roman d’aventures, « La vie était shakespearienne, admirable et tragique ».
Cependant ses tentatives pour s’illustrer à la guerre échouent lamentablement« il était désespéré, il n’avait pas d’arme. Il ne faisait rien » et sa seule victoire sera de découvrir l’amour dans les bras d’Arlette Corail qui le séduit « Il ne faut pas pleurer. Les enfants pleurent. Vous êtes un homme, un homme quand il est malheureux sait ce qu’il peut trouver (…) L’amour… ».
Alors que sa famille le croyait mort et s’apprêtait à lui faire donner une messe ainsi qu’au grand-père et à Philippe, Hubert réapparaît tout guilleret et parfaitement inconscient du drame qui se joue « une mèche dans l’œil, la peau rose et dorée comme un brugnon, sans bagages, sans blessures, (…il) s’avançait en souriant de toutes sa grande bouche épanouie ».
Les jeunes enfants Bernard, Jacqueline et Emmanuel forment un groupe et ne font pas l’objet de grande description physique ou psychologique. On sait que les deux premiers sont « âgés de huit et de neuf ans » qu’ils sont « deux blondins maigres, le nez en l’air ». Quant à Emmanuel c’est encore un bébé, un tout jeune enfant « Le plus petit des Péricand n’avait que deux ans ».
Grand-mère Craquant, mère de Mme Péricand, est une vieille dame « à demi aveugle, obèse », gourmande « très grasse » au « souffle rauque ». La mort de ses petits-enfants semble peu l’affecter et ne lui coupe aucunement l’appétit « Mme Craquant, la serviette, d’une blancheur de neige étalée sur sa vaste poitrine, achevait sa troisième rôtie beurrée mais elle sentait qu’elle la digérerait mal ; l’œil fixe et froid de sa fille la troublait ».
Le chat Albert occupe une place bien définie dans cette famille bourgeoise « un petit chat gris, sans race, qui appartenait aux enfants ».
Un chapitre entier lui est d’ailleurs consacré relatant une chasse nocturne. L’image du chat reflète l’ambigüité de la personne bourgeoise ou simplement humaine qui sous des apparences de docilité cache un fond sauvage et prédateur. Ce chapitre permet aussi de changer la focalisation, de prendre quelque distance par rapport au sujet pour mieux ensuite y retourner (cf. effet de caméra qui s’approche et s’éloigne, vue d’en haut et d’en bas).
Les membres de la famille et leur apparition dans Tempête en Juin par chapitre :
• Chapitre 2: description de Charlotte & Adrien (couple principal), du grand-père de M. Péricand dit « bon papa », et des cinq enfants : Philippe, Hubert, Bernard, Jacqueline et Emmanuel
• Chapitre 4: Portrait plus détaillé de l’abbé Philippe lors de sa visite à l’œuvre des Petits Repentis du XVI
• Chapitre 6: Départ de la famille Péricand pour la Bourgogne
• Chapitre 10: Exode et prise de conscience du rationnement des vivres
• Chapitre 16: Les Péricand chez les deux vieilles demoiselles et fugue d’Hubert
• Chapitre 18: Hubert cherche « à rejoindre la troupe » et rencontre Arlette Corail
• Chapitre 19: Hubert découvre l’amour dans les bras d’Arlette Corail
• Chapitre 20: Le chat Albert et la chambre des enfants
• Chapitre 21: Incendie, fuite de la famille et oubli du grand-père dans l’appartement en flamme
• Chapitre 23: Le grand-père est envoyé à l’hospice puis meurt après avoir dicté son testament au notaire local
• Chapitre 25: Mise à mort de l’abbé Philippe par les trente orphelins de l’œuvre des Petits Repentis
• Chapitre 26: Portrait de Madame Craquant, mère de Charlotte Péricand, messe d’enterrement de Philippe ainsi que du grand-père à Nîmes et retour inopiné d’Hubert que tout le monde croyait mort.
• Chapitre 31: Hiver sous l’occupation et croisement des familles