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Pour l’esprit,
Il faut la chaleur et la lumière des mots lus ou écrits,
Pour le corps
Le soleil brûlant et la nature harmonieuse
Et pour les deux
L’empreinte indélébile de la passion.
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Mon pays se décline avec l’alphabet,
Au printemps latin, en hiver cyrillique
Mon pays est une forêt fantastique
Faite de signes, lianes entrelacées
Mon pays parle à travers les cultures
Celles dont l’esprit curieux s’ambitionne
Mon pays habite voyelles et consonnes
Un monde conçu tout à sa mesure
Mon pays ne connaît pas de frontière
Aucune limite et aucun barrage
Mon pays se lit comme au fil des pages
Un livre ouvert sur celui de nos pères
Mon pays se décline en couleurs,
Sous le soleil ou dans la blancheur enneigée
Mon pays n’est un lieu, ni présent, ni passé
Mais une belle construction sans demeure
Mon pays parle dans des langues sonores
Qui tissent un feuillage dense et cher
Mon pays habite fluide dans les airs,
Un territoire avec faune et flore
Mon pays ne connaît ni trêve ni répit
Il s’étire langoureusement dans le temps
Mon pays se lit dans les volumes d’antan
Ces témoins patients d’un âge assoupis
Et c’est certain, maintenant vous l’aurez compris,
Mon pays est immatériel, de simples échos
Des myriades de mots,
L’univers de l’esprit.
Un morceau de verre éclate.
Sans doute un bruit de l’extérieur venu se fracasser sur la paroi des songes. L’image disparaît emportant avec elle les derniers lambeaux de lueurs et l’illusion du bonheur.
Lentement, dans le noir, tout reprend forme.
La chambre est froide, comme inhabitée.
Est-ce l’heure de ceux qui rentrent tard ou bien des autres qui se lèvent tôt ?
Attrapée en elle-même, la pensée virevolte. Saute-mouton sans pattes, rien n’avance plus. Tout semble opaque, infranchissable ; l’atmosphère est moite et l’esprit englué dans une nasse. Le temps s’étire, lascivement.
L’espace se résume au lit devenu l’ennemi.
A gauche, à droite, sur le dos, puis le ventre.
Le corps lourd et maladroit cherche des poses, aimerait tant s’oublier et de nouveau pouvoir sombrer. Le fleuve des évènements coule, des visages connus s’y reflètent. Ces voix familières résonnent encore, un écho insaisissable cependant.
A gauche, à droite, sur le dos, puis le ventre.
Les minutes, puis les heures tombent, sans pitié et l’angoisse, indéfinie, tâtonne. Elle rampe, se rapproche. Sa menace est réelle.
Alors, le pouls dans les paupières, je fuis et quitte pour de bon la chaleur du repos.
La première fois, c’est d’un ange qu’il était question, de bonté et d’intelligence. Une ombre du passé que la voix ne pouvait nommer sans légèrement chevroter.
Image amorcée, vague et mystérieuse.
Le temps passant, l’inconnue prit la forme en couleurs d’une jeune femme, radieuse, à la peau cuivrée et aux yeux pétillants d’énergie.
Bien campée sur deux pieds, le regard ici et là souriait à la caméra; franc et confiant, il était si loin d’anticiper l’avenir, celui qui commençait à peine.
Car ensemble, ils seraient heureux, d’un bonheur tout neuf et conquis de haute lutte.
Jeune, jolie, joyeuse.
Puis un blanc,
De jours sans retour,
Un an, puis bien d’autres,
Esprit noyé dans un corps en dérive,
Sans parole, sans voix.
Proches en folie, de haine meurtris ;
Le filet des machines, seul, dicte le temps.
Si fragile, si seule.
La toile vient de rompre.
Tout bruit s’est tu.
Enfin à elle revenue,
Elle est de nouveau l’ange du début,
Son humanité retrouvée,
Une douce présence que rien ne saurait plus altérer.
“Du lächelst, Rosendüfte wehen
In dieser dumpfen Felsenkluft.”
Parfois je me souviens de ces chevaux de bois,
deux mains agrippées autour de l’encolure
en haut, en bas, petits visages en émois ;
la musique aigre en berce l’allure.
Le manège monotone tourne, roule ;
un tour puis deux puis trois le regard étourdi
ne capture plus que cris, couleurs dans la foule
Un accordéon au loin meurt, touches jaunies.
La fête bat son plein sur les passants radieux,
en cadence, à une corde suspendu,
un lutin descend sous les regards anxieux ;
puis soudain remonte dans l’air, inattendu.
La chance fugace est emportée par le vent,
balayée au son des notes et corps joyeux ;
c’est alors que l’enfant s’en saisit goulûment,
attrape l’objet de son désir par la queue.
Rien qu’un bout de chiffon contre sa poitrine
ou plutôt tous les possibles dans sa paume,
il affiche sa victoire, s’imagine
en riant, prince au sommet d’un royaume.
Photo de Bettina Frenzel, de la série « Wiener Bilder »
En bleu je vois la vie le matin
celle du lac, étendue fidèle,
toujours là, promesse de demain;
son eau profonde m’ensorcelle.
Juste au dessus monte orange,
jaune ou rose un jour nouveau.
La clarté, de la nuit, se venge;
repousse l’insomnie, ce bourreau.
Blanches, des volutes de fumées
aux couleurs du ciel se mêlent,
signaux de froid qu’un sorcier zélé
lance à tous ceux qui dans le gel
dehors, bientôt s’aventureront.
A l’intérieur, la tasse brune
réveille dans un premier frisson
l’esprit encore dans la brume.
Les mains au chaud, le regard perdu
entre les lignes du livre ouvert,
l’imagination est bienvenue;
tout paraît neuf, engageant et clair.
Rien ne bouge dans la rue encore,
des pages monte un doux parfum
plein de confiance, sensuel et fort.
En bleu je vois la vie le matin.
Vaporeuse et blanche, elle me plonge dans les siècles passés. Aérienne, immaculée, cheveux longs et pieds nus, une toile connue ? Non, juste une sensation produite par une étoffe, ample et douce. Elle joue sur la transparence, tout en nuance, elle laisse deviner un monde de féminité. Innocence voilée, je la revêts et traverse le temps.
crinoline de jadis,
camisole de nuit,
simple robe stellaire
celle d’une époque engloutie, où borderies rimaient avec rêveries
et belles endormies.
Photographie de Bettina Frenzel, de la série “Wiener Bilder”
De froid, de fièvre
On s’enfonce dans le blanc
Tout le corps en feu.
Dans l’air un « Maman ! »
Que crient mille bouches
Se perd dans le froid
Boules de sucre
Pommes rouges de l’enfance
Plaisir fondant
Joyeux cortège
Les rires perlent au vent
Des enfants au jeu.
Luges de couleur
Glissent, souffles et bise
Un Brueghel d’antan.
Aujourd’hui, bien-sûr. Dans l’étendue limpide qui t’a ravie, tu te reflètes. Au détour de mes promenades, présente et loin, à chaque premier regard le matin, absente et proche. Ce ne sont plus trois mois qui nous séparent mais des années que le temps étire, implacable. Aujourd’hui, bien-sûr, car les dates sont aussi fidèles que cruelles. Pourtant, bien souvent la nuit, je rêve que je ne rêve pas. Joie, alors, des retrouvailles qui n’en sont pas. Le portail s’ouvre, j’avance, tout est possible.