Marguerite Yourcenar – Les mémoires d’Hadrien – Notes de l’auteur et cheminement d’écriture

Le carnet de bord ou les notes éparses prises par Yourcenar pendant et après la rédaction d’Hadrien permettent d’expliquer son objectif « je me suis plu à faire et à refaire ce portrait d’un homme presque sage », sa démarche, son souci de véracité dans le texte et son cheminement d’écriture. La qualité des notes s’apparentent au style du roman, même pureté de phrases, emploi de subjonctifs, et de phrases pivots – charnières sur lesquelles s’enchâssent le texte.

On comprend alors les motivations qui l’ont poussée à délaisser son texte alors qu’elle n’avait que vingt-six ans pour le reprendre ensuite à quarante ans passés « j’étais trop jeune. Il est des livres qu’on ne doit pas oser avant d’avoir dépassé quarante ans (…) il m’a fallu ces années pour apprendre à calculer exactement les distances entre l’empereur et moi ». Seule phrase qui selon Yourcenar subsiste à la rédaction initiale « Je commence à apercevoir le profil de ma mort ». La technique imaginée à l’époque reste la même, une lettre à la première personne et sans aucun dialogue ; les mémoires d’un homme vieillissant au passé riche en couleurs, assagi par les années, contemplatif et serein devant la mort qui approche. Les dialogues sont évincés au profit d’un long monologue.

Il s’agit là de mémoires donc introspectives et non d’un journal, pris sur le vif, puisque selon Yourcenar un homme d’action ne tient pas de journal – activité trop contemplative « Ceux qui auraient préféré un journal d’Hadrien à des Mémoires d’Hadrien oublient que l’homme d’action tient rarement de journal : c’est presque toujours plus tard, du fond d’une période d’inactivité, qu’il se souvient, note, et le plus souvent s’étonne ».

Le roman s’impose par sa psychologie alliée à une démarche historique permanente « Un pied dans l’érudition, un autre dans la magie, ou plus exactement, et sans métaphore, dans cette magie sympathique qui consiste à se transporter en pensées à l’intérieur de quelqu’un ». L’histoire ne prend sens que dans un temps retrouvé, seul à même de cristalliser et fixer les événements, capable de prendre possession d’un monde extérieur »– Référence directe à Proust pour qui le temps ne prend sens qu’à travers le processus de réappropriation (symbole de l’art par excellence).

D’autres auteurs se sont frottés à cet exercice et ont fourni une entrée romanesque dans l’histoire ou ont donné une approche historique au roman. L’exemple le plus proche est probablement celui de Flaubert dans Salammbô, qui eut l’idée de ressusciter un épisode peu connu de l’histoire de Carthage. Par ses recherches, son souci de l’exactitude documentaire (encore plus flagrant dans Bouvard et Pécuchet avec la lecture de milliers de livres avant la rédaction du roman), sa vive imagination et la pureté de son style (rappelons le zèle employé par l’auteur pour peaufiner son texte), Flaubert a su rendre l’atmosphère du temps, d’une ville au carrefour de la civilisation et de la barbarie, avec tous ses contrastes.

Quelques mots enfin dignes d’être relevés dans ces notes sur le personnage central après Hadrien, Antinoüs, amant de l’empereur, visage emblématique en esthétique, reproduits à l’excès au cours du temps « portraits d’Antinoüs : ils abondent, et vont de l’incomparable au médiocre (…) exemple, unique dans l’antiquité, de survivance et de multiplication dans la pierre d’un visage qui ne fut ni celui d’un homme d’Etat ni celui d’un philosophe, mais simplement qui fut aimé ».

Camée d’après la gemme de Marlborough représentant Antinoüs (Italie par un graveur inconnu de la seconde moitié du 18e siècle) – St Petersburg, Musée de l’Hermitage

« De tous les objets encore présents aujourd’hui à la surface de la terre, c’est le seul dont on puisse présumer avec quelque certitude qu’il a souvent été tenu entre les mains d’Hadrien ».
Enfin je terminerai par le rappel des vers de John Keats extraits de Ode on a Grecian Urn en écho au passage de Yourcenar sur « l’admirable vase, retrouvé à la villa Adriana et placé aujourd’hui au Musée des Thermes, où une bande de hérons s’éploie et s’envole en pleine solitude dans la neige du marbre ».
«Beauty is truth, truth beauty,–that is all
Ye know on earth, and all ye need to know».

2 comments
  1. luca said:

    Very nice reading, merci (my French is really basic, I won't venture beyond…). I am on the final notes right now, and I stumbled onto this post while googling for the "l'admirable vase". Meilleurs salutations

  2. Merci et bonne continuation quant à votre lecture de Yourcenar et vos progrès en français. Sans doute s'agit-il là de mon livre préféré – c'est tout dire. Un livre qu'on lit, relit et relit.

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