Balzac – La petite maison d’un grand homme

La maison est petite, perdue parmi les immeubles haussmanniens qui la dominent. On y accède par la rue Raynouard (Paris 16e, métro Passy), quelques marches derrière le portail d’entrée descendent vers un jardin encaissé, de forme oblongue. Le jardin surplombe la Seine et offre une vue imprenable sur la tour Eiffel – monument que Balzac précède d’un demi-siècle et qu’il n’aura donc eu l’occasion, ni de voir, ni même d’imaginer. Lorsqu’il loue cette maison en 1840, elle se trouve alors en dehors de Paris, loin de l’effervescence du centre – petite province aux abords de la capitale, banlieue plus calme et surtout plus abordable pour un Balzac endetté.
La maison est constituée d’un rez-de-chaussée surmonté de deux étages, Balzac (alias Monsieur de Breugnol pour mieux fuir ses créanciers) n’occupait que le dernier étage, celui donnant sur l’extérieur (rez-de-jardin). Les autres étages de la maison possèdent une entrée sur la rue en contrebas, on y pénètre par une cours pavée. Les pièces sont petites, le plafond est bas, le décor est simple. Tout respire la modestie et la maison n’a de vrai charme que par son jardin dominant Paris.

                 

C’est dans une pièce carrée, minuscule et assombrie par les lambris en bois que Balzac s’enferme jusqu’à quinze heures, voire vingt heures par jour (selon ses dires) pour écrire. Peu de meubles peuvent y tenir. En son centre trône une petite table rectangulaire qui rappelle les bureaux d’écolier, devant elle un siège en tapisserie, au dossier haut et droit. Un coffre en bois se trouve dans le coin, un crucifix impressionnant et quelques décorations au mur ; une petite ouverture derrière la table de travail permet d’admirer la Seine et la vue de Paris. Enfin, et surtout, une porte-fenêtre donne directement sur le jardin, on se plait à penser que Balzac s’octroyait régulièrement des pauses à l’air libre, faisait quelques tours de jardin pour que l’inspiration revienne avant de retourner dans son antre. L’endroit surprend, on se s’attend pas à un bureau ou une étude semblable. La surprise naît du contraste entre l’immensité de l’œuvre balzacienne et la petitesse, la sobriété du lieu où il écrit. La relation, disproportionnée, laisse rêveur. C’est donc dans cette pièce sans éclat, anodine, que s’est calée la stature imposante de Balzac, c’est donc là qu’il a su créer des mondes, faire vivre des centaines de personnages!

Une autre pièce consacrée à l’exposition en cours sur Louise Bourgeois et Eugénie Grandet évoque d’ailleurs avec justesse l’ampleur de l’œuvre. Derrière une paroi vitrée des centaines de miniatures en bois, serrées les unes aux autres, sont accrochées au mur. Elles ont servi à imprimer les images destinées aux premiers exemplaires de La comédie humaine. Plus de quatre cent personnages, gravés à même le bois, se profilent sur un fond noir et blanc. Une généalogie détaillée sous la vitrine explique les liens de parenté, renvoie aux romans, précise les lieux et recrée l’état civil balzacien.

Peu de choses au demeurant sur l’exposition annoncée à l’affiche, sans doute parce que Louise Bourgeois est morte avant d’avoir mené à bout son projet, soit une réflexion personnelle sur le personnage d’Eugénie Grandet, sur son statut de femme, sur le ratage de sa vie, sur le destin d’une jeune fille, prise entre un père abusif et ses propres idéaux finalement piétinés par le temps et la société. Une salle cependant montre une vingtaine de petits cadres, faits de broderies, travaux d’aiguilles, linges passementés, de minuscules réalisations, toutes vaines et symbolisant la fuite du temps, le lent processus d’étouffement et la profonde mélancolie d’Eugénie, confinée dans un monde trop étroit pour ses rêves.

Mon cadre préféré est celui qui représente une horloge à l’aide de douze pierres transparentes, simples verroteries qui pourraient orner un pendentif, deux aiguilles cousues d’un fil noir sont arrêtées sur dix heures.
En bref, une exposition que je ne recommande qu’aux Balzaciens, eux seuls sauront pleinement apprécier.

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