beauté
Au bord des notes
Un autre endroit, mais toujours les bords de l’eau, Chicago River coule en bas et se jette plus loin dans le lac. La lumière se reflète dans les immeubles d’en face, un fin rayon de soleil direct éclaire la pièce où se regroupent quelques privilégiés. Les doigts comme animés d’une vie propre se lancent, déchirent le tissu des conversations amorcées.
17h30, concert privé chez Isabelle Olivier qui joue ses dernières compositions.
Deux ans plus tard, l’opéra librement inspiré du Baron perché de Calvino prend son élan ; il est fini quasiment pour la partie orchestrale et l’instrument central : la harpe. D’autres viendront s’y joindre : guitares, contrebasses, violons, voire synthétiseurs. Des voix aussi, un quatuor composé de deux hommes et deux femmes.
La harpe, point central, seul représenté pour le concert de ce soir, se donne à fond, cordes, bois, coffre, chevilles, pédales et boutons. Rien n’est laissé de côté et tout participe avec intensité. Côme monte dans l’arbre, fuit la société d’une branche à l’autre, impose sa liberté entre ciel et terre. On ferme les yeux, se laisse porter par une musique nouvelle, si loin des représentations traditionnelles liées à cet instrument.
Etre à quelques centimètres de la harpe, la sentir vibrer et remplir l’espace est unique et ne se retrouvera sans doute pas dans l’opéra final, où elle se fera guide, donnera le ton, mais n’aura plus l’exclusivité. Je profite donc du moment.
Un concert vient d’être donné cet été près de Paris, une magnifique création incluant une quarantaine d’artistes, le tout dans la féérie d’un château médiéval. D’autres représentations sont prévues au printemps et à l’été prochains à Chicago, en salle et en plein air….
Une histoire musicale à suivre donc, perchée entre Paris et Chicago.
Ses yeux
La plus belle de mes vignettes estivales,
Deux perles rayonnantes vers lesquelles je tends
Deux grands yeux au monde innocents, un regard franc
Que rien encore n’a pu toucher, si loin du mal !
La vie coule dans sa prunelle émeraude
Minérale et précieuse, toujours mutine
elle me raconte une histoire cristalline
Et parle sans mot dans une langue chaude.
Les traces de jeunesse en mille flammettes
Aux beaux jours jaillissent au front des pommettes
Adoucissent le visage en amande
De joie, le nez se plisse, puis se retrousse,
ne laissant qu’une tendre petite frimousse,
Un air câlin qui chaque matin me transcende.
Citrons
Trois pièces entourent l’atrium, comme auraient dit les Latins, toutes partagent la même vue, celle d’un citronnier devenu géant au fil des ans. Les fruits pendent agglutinés les uns aux autres ; oblongs ils ont l’écorce rugueuse et dure, passent du vert foncé au vert tendre, puis au jaune éclatant. Ils ont peu de jus, quelques gouttes seulement qu’il faut extraire avec patience – une essence intense à l’arôme âcre et riche. Les feuilles denses protègent les agrumes et apportent la fraîcheur au lieu.
Je jette un regard furtif sur l’atrium ensoleillé et repense au magnifique poème de Goethe, sur le pays où poussent les citronniers. L’Italie pour lui et toutes ses promesses de joie, le midi plus simplement pour moi, suave et généreux.
Kennst du das Land, wo die Zitronen blüh’n,
Im dunkeln Laub die Goldorangen glüh’n,
Ein sanfter Wind vom blauen Himmel weht,
Die Myrte still und hoch der Lorbeer steht,
Dahin! Dahin
Möcht’ ich mit dir, o mein Geliebter, zieh’n.
Kennst du das Haus? Auf Säulen ruht sein Dach,
Es glänzt der Saal, es schimmert das Gemach,
Und Marmorbilder stehn und seh’n mich an:
Was hat man dir, du armes Kind, getan?
Kennst du es wohl?
Dahin! Dahin
Möcht ich mit dir, o mein Beschützer, zieh’n.
Kennst du den Berg und seinen Wolkensteg?
Das Maultier sucht im Nebel seinen Weg;
In Höhlen wohnt der Drachen alte Brut;
Es stürzt der Fels und über ihn die Flut.
Kennst du ihn wohl?
Dahin! Dahin
Geht unser Weg! o Vater, laß uns zieh’n!
Gedicht von Goethe – “Mignon”
Genêts
Entre champs et forêts de sapins, au pied des montagnes, quelques buissons résistent à l’aridité du lieu. Sauvages et heureux avec peu, ils reflètent le soleil, absorbent et renvoient ses rayons.
Au pays des oliviers papillonnent les bourgeons d’or.
Le paysage semble immuable, inscrit à jamais dans les terres, et si les vignes adroitement alignées ne venaient au fil des kilomètres ponctuer le décor, on pourrait encore se croire à l’époque cathare.
Grappes fleuries, arbrisseaux souples et robustes, sarments ancestraux,
Pins, lande et roche calcaire,
Le temps a un goût d’éternité.
Laurier rose
*
Il est bientôt midi, tout le monde semble assoupi.
Nous descendons sous l’allée de Lauriers. L’arbuste mythique fait parti du paysage ici. Il est partout, en pot ou sous une forme imposante, une débauche de couleurs où le rose vif l’emporte parmi toutes les autres.
Mille variétés nous entourent, elles sont toutes différentes, lumineuses et odorantes. On dit l’espèce dangereuse, et pourtant fleurs, feuilles et rameaux parlent d’harmonie et de douceur.
Dix minutes de marche lente au frais de la tonnelle ombragée, et nous arrivons enfin à une longue bande de sable léchée par les vagues.
*
Lavande
Des insectes voltigent affairés autour du bosquet en mouvance, le lutinent et se gorgent de nectar. La journée s’achève sur le jardin paisible. Nonchalante une silhouette passe, frôle du bout des doigts les épis ondoyants, attrape au hasard quelques tiges, les frotte dans le creux de ses mains à demi refermées.
Un parfum chaud monte de l’été.
Tulipes
Si au Japon, les symboles des saisons sont le chrysanthème, le prunier, l’orchidée et le bambou, qu’en est-il de la tulipe ?
Courte sur pieds, elle est au prime abord sobre et austère, toute absorbée en son mystère. Puis peu à peu elle s’amadoue, laisse tomber ses voiles, un à un, pour finalement finir radieuse et offerte.
Corolle calice
Pétales pistils
Ô monde merveilleux
« si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot”.
Et sans elles, un tableau noir, un champ vierge que l’artiste n’a pas encore visité.
A bout de bras
Saupoudrées au gré du vent, quelques fleurs émergent du tapis de verdure. En pointillé, leurs couleurs au ton pastel caressent le regard, elles entonnent une mélodie harmonieuse et belle. Leur douceur laisse rêveur car elle évoque un autre temps, passé – enfoui ailleurs.
C’est un souvenir d’enfance que le tableau vient raviver ; et d’autres sons accompagnent bientôt l’image, des cris désordonnés et joyeux. Les oreilles bourdonnent, deux petits pieds foulent l’herbe folle et la terre sent bon le frais.
La paix s’installe, le bien-être est à bout de bras.